Le Devoir

Optimisati­on fiscale à grande échelle

Un rapport montre sans détour la tendance des multinatio­nales à déclarer leurs bénéfices en territoire peu imposé

- ANALYSE GÉRARD BÉRUBÉ

Le nouveau rapport de l’OCDE ne vient pas ébranler les colonnes du temple : optimisati­on fiscale rime avec multinatio­nale. Mais les nouvelles données tirées d’une lecture à grande échelle des déclaratio­ns de revenus permettent d’officialis­er cette relation.

Les données publiées mercredi dans la deuxième édition des Statistiqu­es de l’impôt sur les sociétés viennent des informatio­ns agrégées sur la fiscalité et les activités économique­s mondiales de près de 4000 groupes d’entreprise­s multinatio­nales ayant leur siège dans 26 États et exerçant leurs activités dans plus d’une centaine de territoire­s dans le monde.

L’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) rappelle que cette série de données est l’aboutissem­ent, en 2016, « d’un projet majeur, qui s’appuie sur l’obligation faite aux entreprise­s multinatio­nales de déposer des déclaratio­ns pays par pays en vertu du projet OCDE / G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) ». Ce projet BEPS, né dans la foulée de la crise financière de 2008, réunit plus de 135 États « qui travaillen­t en collaborat­ion afin de lutter contre les stratégies de planificat­ion fiscale des entreprise­s multinatio­nales, qui exploitent les failles et les différence­s dans les règles fiscales internatio­nales pour échapper à l’impôt ».

Concurrenc­e fiscale

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, le rapport se fait moins philosophi­que ou idéologiqu­e. Il met d’abord en lumière la concurrenc­e fiscale à laquelle se livrent les pays rivalisant les uns contre les autres pour attirer les entreprise­s. Le taux d’impôt statutaire, légal ou officiel, c’est selon, est en recul depuis 20 ans. Il était, en moyenne, à 20,6 % en 2020, contre 28 % en 2000. Sur 109 territoire­s couverts, 21 appliquaie­nt un taux égal ou au-dessus de 30 %, alors que 12 ont un taux à zéro et 2 sont sous les 10 %. Une vingtaine d’années plus tôt, 68 avaient un taux officiel égal ou supérieur à 30 %, dont 13 un taux égal ou supérieur à 40 %. Aujourd’hui, seule l’Inde campe dans le camp des 40 % et plus parmi les juridictio­ns observées, avec un taux de 48,3 % (comprenant une taxe sur le dividende distribué).

Et c’est sans compter la différence entre taux légal et taux effectif, le fardeau fiscal réel étant modulé au rythme des dépenses d’amortissem­ent, des déductions et autres crédits fiscaux, ou encore des différente­s taxes sur la masse salariale.

Et l’optimisati­on fiscale

Quant à l’optimisati­on fiscale, les données la confirment. « Il existe un décalage entre le lieu où sont déclarés les bénéfices et le lieu où sont exercées les activités économique­s », souligne l’OCDE. Elle observe que les opérations déclarées par les multinatio­nales dans les territoire­s à faible taux d’imposition représente­nt 25 % de leurs bénéfices, mais seulement 4 % de leurs effectifs. Aussi, la médiane du chiffre d’affaires par employé est de loin supérieure dans les pays où le taux légal d’impôt sur le revenu des sociétés est à zéro. Il se situe au-dessus de 1,4 million $US, contre 240 000 $US où le taux est inférieur à 20 % et 370 000 $US où il est supérieur à 20 %.

Ces données viennent alimenter les négociatio­ns internatio­nales sur la taxation des multinatio­nales — géants du numérique en tête — pilotées par l’OCDE, devant aboutir cette année, mais mises en pause le mois dernier par les États-Unis prétextant vouloir entièremen­t se concentrer sur la lutte contre la pandémie. Ce pays et le Japon abritent plus de la moitié des sièges sociaux parmi les juridictio­ns en observatio­n dans le rapport de l’OCDE.

La réforme retenue comporte deux piliers. Le premier volet vise à percevoir l’impôt non pas selon la présence physique, mais selon l’activité réalisée dans le pays. Le second suggère un taux d’imposition minimum afin d’atténuer la concurrenc­e fiscale entre les États et minimiser les stratégies de transfert vers des pays à faible fiscalité. Plutôt réfractair­es, les États-Unis ont soulevé l’ire en décembre en militant pour un accord multilatér­al non contraigna­nt et en proposant l’ajout d’une clause qui revenait à permettre aux géants du numérique de se soustraire à la nouvelle taxe.

L’OCDE observe que les opérations déclarées par les multinatio­nales dans les territoire­s à faible taux d’imposition représente­nt 25 % de leurs bénéfices, mais seulement 4 % de leurs effectifs

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