Adaptation numéro 1
Après la pause imposée par la pandémie, un retour au cinéma québécois des plus réussis
Sentiment d’injustice, de révolte, de révulsion. Suspect numéro (V.F. de Target Number One) de Daniel Roby fait naître tout l’éventail d’émotions que son sujet devrait générer.
À savoir : l’affaire Alain Olivier. Dont le cinéaste a d’abord entendu parler, comme le rapportait notre collègue François Lévesque, en lisant les chroniques de Pierre Foglia.
Dans l’une d’entre elles, « L’esprit de corps », parue le 14 décembre 2006, ce dernier notait que cette histoire tenait « une place spéciale » dans ses 40 ans de carrière « et plus encore dans l’idée que je me fais d’une démocratie », ajoutait-il.
M. Foglia y parlait dudit esprit de corps des policiers « au nom duquel ils sont prêts à mentir, à tricher, à fabriquer des preuves pour protéger un ou plusieurs de leurs collègues dans le trouble ». Et qui, dans ce cas précis donnera naissance à « une histoire comme un film de série Z ».
Le film que Daniel Roby a tiré de cette choquante histoire n’est pas de cette catégorie. Même si les faits demeurent hallucinants.
Soit ceux ayant mené des agents de la GRC à coincer Alain Olivier en Thaïlande, l’épinglant injustement sous prétexte qu’il était un narcotrafiquant tout-puissant. Lui, gars ordinaire, aux prises avec des problèmes de toxicomanie, s’étant laissé flouer par un entremetteur vil et sans scrupule.
Quand le film commence, celui qui est surnommé Daniel Léger pour les besoins de la « fiction » n’a pas touché à la drogue depuis six mois. Il débarque sur un yacht, retombe sur un vieux compagnon de défonce. Les haut-parleurs crachent In the Air Tonight, de Phil Collins. Dans l’air, quelque chose de malsain. Sur la table, de l’héroïne. Dans le fond, le début d’un désastre.
Sous la pression, il craque. Recommence à consommer. « I’ve been waiting for this moment for all my life… »
Sur sa joue, une larme coule. La scène est incroyable.
Le scénario de Daniel Roby rend limpide le merdier dans lequel le jeune homme se retrouve enlisé. Les événements se succèdent à un rythme effréné. La mise en scène du réalisateur de Louis Cyr rend toute la frénésie de l’enquête.
Le montage parfaitement rythmé de Yvann Thibaudeau enchaîne les scènes d’action et de violence poignantes (dans l’une d’entre elles, le sang éclabousse la caméra) et imbrique les divers éléments du récit. Les touches de la machine à écrire du journaliste qui rapporte les faits, la prison de Bangkok bondée où le détenu aboutit, les limbes de la diplomatie.
Distribution à saluer
Tourné en partie en Thaïlande, Suspect numéro 1 montre aussi la façon répréhensible dont se comportent certains Occidentaux en pays étranger, les flics usant de grossièreté, ne respectant rien ni personne.
Parlant de grossièreté, et par la bande de distribution, Jim Gaffigan s’avère absolument impeccable en entremetteur lâche et gluant. Peau rougeaude, regard reptilien, il postillonne et insulte, menace et maudit, en engloutissant sans élégance des ailes de poulet. L’acteur et humoriste, que l’on connaît surtout pour ses one man shows, fait preuve de toute la crasse de comportement nécessaire.
Sous sa poigne, Antoine Olivier Pilon est tout aussi irréprochable. Caché sous son capuchon, abandonné de tous, et surtout du système, il semble fragile même derrière ses lunettes fumées, même quand il joue au dur pour impressionner une fille. Quand il les enlève, ces lunettes, dans son regard passent l’incompréhension, la méfiance, l’espoir comme le désespoir, la bonté. Chez le spectateur passe l’envie de le rassurer, de le protéger.
Comme l’a fait, à sa façon, Victor Malarek. Un journaliste qui bossait alors au Globe and Mail, personnifié ici par un solide Josh Hartnett. Vêtu d’un manteau de cuir (chapeau aux costumes de Véronique Marchessault), la chevelure au vent et en perpétuel mouvement, Malarek court pour se rendre au bureau, court à l’hôpital pour voir sa fille nouveau-née, court pour échapper à des malfrats, court après le scoop.
Car cette histoire s’avère aussi un hommage au journalisme, au temps qu’il faut pour en faire du bon. « Ça prend de la recherche », s’insurge le reporter face au patron qui lui propose d’accélérer son processus, et de suivre un «horaire normal », à savoir « un article par semaine » (à l’époque tristement révolue où « un article par semaine » était encore considéré comme un horaire normal).
Malarek refuse, remet sa démission, n’en fait qu’à sa tête. Et il fait bien. Sans lui, l’histoire d’Alain Olivier n’aurait probablement jamais été racontée. Et sa résolution n’aurait pas été la même. Suspect numéro 1 salue sa détermination, tout comme celle de « Daniel Léger », d’une efficace et émouvante façon.
En salle dès le 10 juillet