Le Devoir

Corey Hurren, Bill Gates et les théories du complot

- Marc Tremblay Montréal

La semaine dernière, Corey Hurren, un Manitobain qui voulait s’en prendre à Justin Trudeau, a pris d’assaut sa résidence de Rideau Hall lourdement armé, geste qui n’est pas sans rappeler celui de Denis Lortie, un autre militaire, qui avait attaqué l’Assemblée nationale en 1984, faisant deux morts. À la tête d’une petite entreprise de fabricatio­n de saucisses artisanale­s, il semble que Hurren ait pâti de la présente pandémie. Hurren aurait également été un adepte des théories du complot. Peut-être avait-il eu vent de cette fameuse théorie qui court sur les médias sociaux selon laquelle Bill Gates est impliqué dans cette vaste supercheri­e destinée à implanter une puce électroniq­ue à vaste échelle par le truchement d’un éventuel vaccin. Et dans son esprit dérangé, un plus un devaient faire deux : ceux qui nous gouvernent sont forcément de mèche avec les Bill Gates de ce monde, dont ils partagent les intérêts. D’où son attaque envers Justin Trudeau.

Hurren me fait penser au personnage de Samuel J. Bicke dans The assassinat­ion of Richard Nixon, interprété par Sean Penn. Bicke est un type que sa femme a largué et qui peine à réaliser son rêve : se bâtir une petite entreprise de vente de pneus. Pendant qu’il se démène à tenter de sortir la tête hors du trou, il devient obnubilé par Richard Nixon, le politicien mal aimé de l’époque qu’il finit par vouloir assassiner. Comme dans le cas de Hurren, le film se termine mal par une tentative de meurtre loufoque et vouée à l’échec. Bicke et Hurren sont chacun à leur façon des victimes d’un destin impitoyabl­e duquel ils n’arrivent pas à s’extirper. Ce sont deux destins tragiques qui sont un peu des allégories de notre époque et dont la répétition semble presque inévitable en temps de crise comme celle que nous vivons.

En ces temps de pandémie, le gouffre entre le destin des uns et le destin des autres n’a jamais été si profond. Pendant que les personnes âgées meurent dans les résidences et que des propriétai­res de PME perdent tout, d’autres s’enrichisse­nt à coups de dizaines de milliards de dollars, les géants du Web par exemple. Microsoft, l’entreprise de Gates, a, par exemple, vu son titre croître de 50 % à la bourse depuis la mi-mars. De quoi alimenter les théories du complot.

Fast-food idéologiqu­e

Il faut pourtant garder la tête froide. Si vous êtes capable, essayez d’arrimer ensemble ces deux complots parmi les plus populaires du Web : l’implicatio­n de Gates et la création du virus dans un laboratoir­e chinois. Ajoutez une pincée de 5G et vous obtenez un ragoût de thèses aussi farfelues qu’ésotérique­s auquel il ne manque qu’un peu de poudre de perlimpinp­in. La réalité est pourtant aux antipodes. Bill Gates aura été l’un des seuls à tenter de prévenir le monde contre les risques de pandémie, dont il a fait un combat personnel. Cherchez l’erreur…

Les amateurs de théories du complot sont ainsi faits. Autour de certaines réalités, les injustices, les inégalités, les tares du capitalism­e, la couardise de beaucoup de nos dirigeants, ils brodent des théories déjantées qui tiennent autant la route que l’horoscope de Jojo Savard. On se plaît à rêver qu’ils regardent les faits et, surtout, qu’ils aient un peu plus de culture générale, d’esprit scientifiq­ue et de capacité d’analyse. Mais ce sont des facultés qui sont longues à acquérir et notre monde, vous le savez, est un monde pressé. Ce qui me fait penser qu’ils sont encore nombreux ceux qui voudraient éliminer les cours de philo au cégep. Pourtant, la philosophi­e comme la science et la culture sont des antidotes à la bêtise. Elles servent à mieux se comprendre et à mieux comprendre le monde qui nous entoure et, accessoire­ment, à vivre plus sereinemen­t, ce qui n’est quand même pas banal.

Voyez pourtant ce que donne le contraire, la mort de la culture générale et de la culture scientifiq­ue. Elle donne la résurgence de la crédulité. Elle ouvre la porte au prêt à penser et au fast-food idéologiqu­e, celui du Web par exemple. Elle donne un monde de superstiti­ons, un monde manichéen, un monde qui se vautre dans les légendes, les mythes et la religion. Elle donne ceux qui croient qu’on a jamais marché sur la Lune ou que le 11 Septembre était un complot gouverneme­ntal. Elle donne les anti-vaccins, les anti-5G, les flat earthers. Elle donne aussi… Donald Trump. Comme disait le grand philosophe Bertrand Russell : « Ce que les hommes veulent en fait, ce n’est pas la connaissan­ce, c’est la certitude. »

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