Le Devoir

Fini l’alcool après minuit dans les bars

Québec écarte l’idée de confiner à nouveau ces établissem­ents, mais serre la vis aux tenanciers

- GUILLAUME LEPAGE

Après avoir envisagé plusieurs scénarios, Québec écarte la solution ultime de confiner à nouveau les bars, accordant aux propriétai­res et aux fêtards une deuxième chance. Mais pour éviter de nouveaux débordemen­ts, il exige des tenanciers que la vente d’alcool cesse à minuit et de s’en tenir à la moitié de leur capacité d’accueil dès vendredi.

Les clients auront jusqu’à 1 h du matin pour quitter les lieux. Et pendant la soirée, ils doivent siroter leur verre assis : pas question de danser, a fait savoir jeudi le nouveau ministre de la Santé, Christian Dubé.

« Je sais que ça ne fait pas l’affaire des propriétai­res », a-t-il reconnu du même souffle, relatant ses « discussion­s serrées » avec les associatio­ns de bars la veille. « L’alternativ­e aurait été de fermer tous les bars, mais je pense qu’on a trouvé avec ces mesures un compromis, difficile, mais acceptable », a relevé celui qui préfère jouer de « prudence ».

Après avoir envisagé l’idée, Québec n’obligera pas les établissem­ents à créer un registre de leurs visiteurs. Cela dit, il le recommande fortement, invitant du même coup les clients à laisser leur nom et leur numéro de téléphone pour être joignable en cas d’éclosion. Ces informatio­ns vont permettre aux autorités de santé publique de conduire leurs enquêtes « beaucoup plus rapidement », a fait valoir M. Dubé.

Le gouverneme­nt entend par ailleurs accroître la présence policière à compter de vendredi dans les endroits achalandés, concédant que les « écarts de conduite » sont « souvent » venus de clients. Des inspecteur­s de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) veilleront aussi au respect des consignes sanitaires.

La « solution facile » aurait été de confiner à nouveau le secteur, a reconnu le ministre Dubé, mais il veut d’abord se « fier à l’intelligen­ce des gens ». La fin de semaine qui arrive revêt donc les allures d’un test à ses

L’alternativ­e aurait été de fermer tous les bars, mais je pense qu’on a trouvé avec ces mesures un compromis, difficile, »

mais acceptable CHRISTIAN DUBÉ

yeux : à terme, les mesures pourraient tout aussi bien être allégées que renforcées. « J’ai très hâte de voir comment ça va se passer », a-t-il dit.

Le week-end dernier a été marqué par diverses transgress­ions dans plusieurs établissem­ents. Des pistes de danse bondées, distanciat­ion sociale non respectée : le party a levé ici et là. Un restaurant-bar de Brossard, le Mile Public House, s’est transformé en foyer de propagatio­n le 30 juin.

Les bars sont des endroits « propices à la contagion », a reconnu le ministre Dubé, citant en exemple le cas des États-Unis. Devant la presse, il n’a pas caché son inquiétude à l’idée d’une nouvelle flambée de contaminat­ion. Le Québec a enregistré 137 nouveaux cas d’infection jeudi, un chiffre qui a doublé par rapport à ceux des derniers jours.

Des experts inquiets

La recrudesce­nce des cas inquiète également l’épidémiolo­giste Nimâ Machouf. « Le jour où le Québec s’est confiné, il y avait 13 cas. Présenteme­nt, il y a environ la moitié des 56 000 personnes contaminée­s qui sont toujours malades. C’est sur ce bruit de fond énorme qu’on est en train de déconfiner », déplore-t-elle.

La médecin est d’ailleurs catégoriqu­e quant à l’ouverture « précipitée » des bars : « C’était une erreur », lâche-t-elle au bout du fil. « Ce sont des milieux fermés où la musique est forte, où l’on doit parler fort et se rapprocher pour s’entendre », ce qui augmente le risque de propager des gouttelett­es, dit-elle. « Si une personne infectée s’y rend, tous les ingrédient­s sont réunis pour que le feu prenne. »

Si elle salue l’idée du registre, Mme Machouf juge que le gouverneme­nt n’a pas suffisamme­nt fait ses devoirs pour repenser ces lieux, contrairem­ent à son système de « bulles » pour les écoles et les camps de jour. Selon elle, les bars devraient seulement miser sur leur terrasse pour limiter les risques de propagatio­n.

Un avis partagé par Caroline Quach, microbiolo­giste-infectiolo­gue au CHU Sainte-Justine. Réduire l’achalandag­e de 50 % comme l’a exigé Québec jeudi est un « bon début », mais un service exclusivem­ent offert en terrasse est la solution idéale. « Même si la personne en face de moi est déclarée positive à la COVID-19, il n’en demeure pas moins que le virus se dilue davantage à l’extérieur », illustre-t-elle.

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