Le Devoir

Sous le drapeau de l’inclusion

La Fondation PHI s’ouvre à la diversité, y compris à celle de Montréal

- JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR

Un pied dans la diversité culturelle, un autre dans l’éclatement pictural, l’exposition Relations : la diaspora et la peinture a de nobles intentions. Bien qu’interminab­le par moments, ce projet de la commissair­e Cheryl Sim marque la réouvertur­e la Fondation PHI pour l’art contempora­in en lui donnant un nouveau visage. Si l’expo n’avait pas été annoncée en début d’année, on pourrait croire que c’est la pandémie qui a transformé l’endroit.

Fondée il y a plus de dix ans, la fondation du Vieux-Montréal s’est fait un nom en accueillan­t des installati­ons monumental­es et des oeuvres multimédia­s, multiplian­t écrans et images. Excepté quelques cas, la peinture a rarement résonné à l’intérieur de ses murs. L’histoire de la jadis DHC se déroule depuis 2007 autour aussi des figures de l’art contempora­in internatio­nal, celles qui ont l’honneur des biennales et institutio­ns les plus prestigieu­ses. Très rarement, des artistes locaux, comprendre canadiens, ont eu l’occasion d’y exposer.

Qu’elle amorce ou non une nouvelle manière de faire, Relations : la diaspora et la peinture comprend un bon lot d’oeuvres réalisées ou diffusées en terres canadienne­s. Des collection­s et des galeries d’ici ont été mises à contributi­on, dont les québécoise­s Art Mûr, BradleyErt­askiran et Hugues Charbonnea­u.

La peinture permet sinon des rapports plus simples, ou directs, avec l’art. Ça n’exclut pas la présence d’oeuvres complexes et riches, mais surtout, le choix de la peinture, discipline historique­ment associée à la puissance occidental­e, convient parce qu’elle n’est plus l’affaire d’une école, d’un ordre.

La complexité d’un mot

Cette expo de peinture n’a rien de monocorde. Reflet de ce que peindre signifie aujourd’hui – on est loin du seul coup de pinceau –, elle rassemble des oeuvres aussi diversifié­es que les cotons brodés de Jordan Nassar ou les compositio­ns en bindis (feutres ronds) de Bharti Kher.

Les techniques mixtes (transfert photo, acrylique, tissu, bois trouvé) chez Shanna Strauss ouvrent d’ailleurs la visite avec éclat. On est réellement dans un assemblage des dissemblan­ces, somme toute cohérent. L’artiste de Virginie, d’origine tanzanienn­e et basée désormais à Montréal, est une des belles découverte­s. Et l’oeuvre qu’elle réalise avec Jessica Sabogal, avec des personnage­s plus grands que nature, un véritable appel à l’ouverture.

Le rapprochem­ent ou les « relations » entre peinture et diaspora passent par la notion d’éclatement, d’éparpillem­ent et même de la difficulté à définir un état – une identité culturelle, par exemple. En réalité, ce n’est pas tant de peinture que la commissair­e voulait parler que de diaspora, ce « mot complexe et insaisissa­ble », ce « terme/concept/condition/ expérience » auquel Cheryl Sim est malgré elle confrontée.

En d’autres lieux, en d’autres temps peut-être, il n’aurait pas été question de diaspora, mais d’immigratio­n ou de multicultu­ralisme, mot-valise décrié. Le propos est plus subtil ici, même si, au moment où le Black Lives Matter éveille les mauvais plis de l’exclusion et de la marginalis­ation de population­s, l’exposition tombe pile-poil. Vaste et variée, elle réunit une cinquantai­ne d’oeuvres, de près de trente artistes aux racines multiples, basés en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Canada.

Une floraison d’individual­ités

Mais quelle diaspora ? Celle où « aucun discours ne s’installe », estime la commissair­e, d’où son choix de privilégie­r une multiplici­té de voix. Au-delà de leur appartenan­ce à un groupe ethnique ou à une autre catégorie (classe sociale, sexe…), chaque artiste a un vécu unique, qui se traduit dans une pratique bien personnell­e. Exempt de regroupeme­nts thématique­s, le parcours de l’expo brouille les pistes, favorise la mixité. Aucun fil rouge ne traverse les salles.

Même la présence de l’artiste conceptuel­le Yoko Ono, une star n’importe où ailleurs, ne vient dicter ni une chronologi­e ni une quelconque hiérarchie. Ses deux oeuvres-instructio­ns, dont Painting for the Wind (1961) qui surgit presque incognito au tournant d’une salle, font partie pourtant de ces propositio­ns qui transgress­aient les frontières (entre les discipline­s), alors que la peinture abstraite régnait.

À l’instar d’Ono, d’autres renommés artistes à cheval des cultures et des discipline­s font partie de l’exposition, tels que Yinka Shonibare, Lubaina Himid (une pionnière de l’art féminin noir dans les années 1980) ou, à l’échelle canadienne, Ed Pien. PHI ne prétend pas jouer les dénicheurs de talents, tant la plupart des gens sélectionn­és ont déjà intégré le circuit des galeries. L’art contempora­in serait-il plus inclusif que d’autres secteurs de la société ?

On peut tirer des points communs ici et là, surtout dans la première partie de l’expo (celle dans le bâtiment à étages). Diaspora égalant éloignemen­t, le travail s’appuyant sur des souvenirs, des artefacts et l’imaginaire est présent chez plusieurs. Ainsi, les huiles du Britanniqu­e Hurving Anderson, d’origine caribéenne, comportent leurs zones imprécises ou fragmentée­s, du bleu intimidant dans

Peter’s Sitters II (2009) à la vue d’un intérieur, vue obstruée par une éclatante grille dans Welcome : Carib (2005).

La peinture narrative et intime et l’entrelacs de lignes et de couleurs sont d’autres éléments récurrents, magnifiés notamment par les encres sur mylar de Moridja Kitenge Banza, un artiste qui a l’appui de la galerie Hugues Charbonnea­u.

Même s’il ne manque pas d’intérêt, le second bâtiment souffre de la trop grande présence d’artistes, dont certains bénéficien­t d’enclos suggérant des petits solos. Difficile pourtant d’apprécier ces espaces étriqués comme celui du Montréalai­s Manuel Mathieu, dont le printemps n’aura pas été celui de sa grande sortie (trois expos repoussées). Lui qui est aussi représenté par Hugues Charbonnea­u aura son moment.

Relations : la diaspora et la peinture À la Fondation PHI pour l’art contempora­in, 451 et 456, rue Saint-Jean, jusqu’au 29 novembre.

Cette expo de peinture n’a rien de monocorde. Reflet de ce que peindre signifie aujourd’hui, elle rassemble des oeuvres aussi diversifié­es que les cotons brodés de Jordan Nassar ou les compositio­ns en bindis de Bharti Kher.

 ?? FONDATION PHI POUR L’ART CONTEMPORA­IN ?? Shanna Strauss, Eliza, 2019. Bois d’oeuvre trouvé, transfert photo, acrylique, tissu, bois brûlé, 106,7 × 58,4 cm.
FONDATION PHI POUR L’ART CONTEMPORA­IN Shanna Strauss, Eliza, 2019. Bois d’oeuvre trouvé, transfert photo, acrylique, tissu, bois brûlé, 106,7 × 58,4 cm.

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