Plus agressif par la voie des airs
Cette semaine, 239 scientifiques de 32 pays ont publié un article demandant à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de reconnaître le potentiel de transmission aérienne du coronavirus. Entrevue avec Raymond Tellier, un microbiologiste du Centre universitaire de santé McGill qui fait partie des signataires.
Àquelle proportion estimez vous la part de la transmission par aérosols ?
Pour la COVID, c’est difficile à dire. Si je me réfère à l’influenza, c’est probablement quelque part entre 10 et 50 % des cas où l’aérosol joue un rôle. Ça dépend évidemment des études, des environnements, mais c’est à peu près l’ordre de grandeur. On constate aussi quelque chose d’intrigant avec l’influenza. Si vous l’acquérez par aérosols, vous avez de plus grandes chances d’avoir une maladie sévère.
En réalité, c’est facile à comprendre : les particules plus grandes que 20 microns ne vont pas pénétrer dans les voies respiratoires inférieures, alors que les plus petites particules vont pouvoir se rendre jusqu’au poumon et y déclencher une infection.
Donc, dans le cas de l’influenza, si c’est juste 10 % des cas, mais les 10% les plus sévères, c’est une voie de
transmission qui vaut la peine d’être interrompue. Qu’est-ce que ce constat signifie pour la santé publique et pour les gens ?
Ce qui en découle, comme cela est exprimé dans notre lettre, c’est qu’il faut premièrement s’assurer, particulièrement en milieu hospitalier, que les systèmes de ventilation sont adéquats. Donc qu’il y a suffisamment de changements d’air et que, si l’air est recirculé, il est traité par filtration ou par exposition aux ultraviolets. Les équipements de protection individuelle doivent être appropriés pour les soins des patients qui ont la COVID, c’est-àdire qu’il faut utiliser des masques N-95. Un masque chirurgical offre une protection incomplète contre les aérosols. Dans les bâtiments publics, comme les centres commerciaux ou les immeubles à bureaux, on doit également s’assurer que la ventilation est adéquate. Finalement, c’est aussi une raison supplémentaire de demander le port du masque pour tous.
Quelle étude montre le plus clairement que la transmission aérienne de la COVID-19 est bien réelle ?
La voie aérienne a été passablement bien démontrée pour certaines flambées, comme une éclosion dans une chorale dans l’État de Washington et une autre dans un restaurant à Wuhan. De plus, avec des tests moléculaires, on a confirmé la présence du virus dans l’air de chambres d’hôpital à Wuhan et dans le Nebraska. Grâce à des études en laboratoire, on sait aussi que, si vous créez des aérosols infectés et les laissez en suspension dans l’air, une bonne quantité de virus demeurent infectieux pendant plusieurs heures, même si l’infectivité diminue de façon exponentielle dans le temps. […]
Pourquoi dit-on que les aérosols ne transmettent pas le SRASCoV-2 : parce que le virus n’y survit pas ou bien parce que la dose n’est pas suffisante ?
Il y a un peu des deux. L’une des objections canoniques à la contagion par aérosols, c’est de souligner qu’on n’observe pas de transmission à longue portée de la COVID, contrairement à la rougeole. La réponse à cet argument est multiple. D’abord, ça dépend de la quantité de virus qui est produite dans les aérosols. Ça dépend de la quantité de virus requise pour amorcer une infection. Ça dépend de la durée du potentiel d’infection de la particule virale. Et ça dépend de la ventilation. […] Bref, ce n’est pas parce qu’on n’observe pas de transmission à longue portée qu’il n’y a pas de danger par aérosols.
Pourquoi avoir décidé de signer cette lettre ?
Cet enjeu me tient à coeur parce que j’y ai travaillé durant des années dans le contexte du virus de la grippe. Dans le cas de l’influenza, la Santé publique ne considère pas que la transmission par aérosols est importante, en dépit du fait que de nombreuses publications, étalées sur des décennies, montrent que ça joue bien un rôle. La deuxième raison, c’est qu’on a vu à plusieurs reprises, durant les épidémies de SRAS et de syndrome respiratoire du Moyen-Orient, que ces coronavirus émergents pouvaient former des aérosols infectieux. Et donc, il y avait toutes les raisons de croire que ce serait la même chose avec ce nouveau coronavirus.
À la suite de votre sortie, l’OMS a changé sa position, reconnaissant que des « preuves émergentes » allaient dans le sens d’une transmission aérienne. Comment voyez-vous la suite ?
Nous sommes très encouragés par la réaction de l’OMS, bien que son langage demeure quand même assez prudent. Ce n’est pas une acceptation sans équivoque, mais une reconnaissance que des données semblent indiquer qu’il y a des contextes où la transmission aérienne joue un rôle.
À l’évidence, une question très difficile qui n’a pas été résolue est de savoir quelle proportion d’infections est causée par des aérosols et quelle proportion par des gouttelettes plus grosses, même si la dichotomie n’est pas tout à fait correcte, car il y a un continuum de particules. Chose certaine, cette proportion doit varier d’un environnement à l’autre. S’il y a une mauvaise ventilation, ça va promouvoir la contamination par aérosols. On peut penser à l’humidité également. Les virus enveloppés, comme l’influenza ou la COVID, survivent beaucoup mieux dans les aérosols si l’humidité est basse, comme c’est le cas dans les maisons chauffées durant l’hiver, mais aussi dans les logements climatisés durant l’été.