Le Devoir

Mieux que le revenu minimum garanti

Un programme qui offrirait le même montant à tous, peu importe le revenu, serait inéquitabl­e

- Olivier Jacques Candidat au doctorat, Université McGill

La mise en place de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) a relancé le débat sur le revenu minimum garanti (RMG). D’ailleurs, la Commission Jeunesse du Parti libéral du Québec (CJPLQ) propose que le parti intègre un RMG dans son programme.

Heureuseme­nt, la CJPLQ ne propose pas un RMG qui offrirait un montant égal pour tous les citoyens. En plus de générer des coûts exorbitant­s, ce type de RMG serait inéquitabl­e pour les citoyens les plus pauvres.

Par exemple, le Comité d’experts sur le revenu minimum garanti a établi en 2017 que regrouper l’ensemble des prestation­s offertes par le gouverneme­nt du Québec représente­rait 878 $ par année par habitant, un montant insuffisan­t pour les personnes sans emploi. Augmenter ce montant à 6000 $ (imposable) par année, soit moins que ce qui est pourvu par l’assistance sociale, coûterait plus cher que l’ensemble des sommes actuelleme­nt investies en éducation, qui constituen­t plus de 25 % du budget du gouverneme­nt du Québec.

La réflexion sur le RMG doit donc proposer des solutions plus innovatric­es. Pour ce faire, il faut reconnaîtr­e que certains groupes de la population sont déjà adéquateme­nt protégés par nos politiques sociales et pallier les lacunes de notre filet social.

Les personnes âgées et les familles sont déjà admissible­s à une forme de revenu minimum garanti. Une personne de plus de 65 ans qui n’a jamais occupé un emploi rémunéré recevra au minimum 18 348 $ par année grâce au Supplément de revenu garanti et à la Sécurité de la vieillesse. Du côté des familles, plusieurs programmes visant à réduire la pauvreté chez les enfants constituen­t une forme de revenu de base.

Par exemple, selon les calculs de la Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke, une personne célibatair­e avec un enfant en bas âge dont le revenu brut est de 35 000 $ par année recevra des allocation­s fédérales et provincial­es de près de 16 700 $.

Nul besoin de faire table rase et de remplacer ces programmes qui réduisent davantage la pauvreté et les inégalités que la plupart des propositio­ns de RMG, et ce, à coût moindre. Les efforts de constructi­on d’un RMG doivent plutôt se concentrer sur ceux qui ne bénéficien­t pas des revenus minimums garantis actuels.

Pour ce faire, le gouverneme­nt fédéral pourrait élargir la couverture de l’assurance-emploi, puisqu’à peine 42 % des Canadiens sans emploi y ont droit — à noter que, jusque dans les années 1990, une bien plus grande proportion des chômeurs était admissible au programme. D’ailleurs, le gouverneme­nt n’aurait peut-être pas été contraint de créer la PCU en catastroph­e si l’assurance-emploi avait couvert 80 ou même 100 % des chômeurs.

Coopératio­n

Le mois dernier, le gouverneme­nt Trudeau a indiqué qu’il comptait accroître l’admissibil­ité de l’assurancee­mploi. Si la réforme est ambitieuse, elle pourrait offrir un revenu minimum garanti, même si temporaire, à toutes les personnes qui perdent leur emploi.

Mais puisque l’objectif d’un revenu de base vise à offrir un revenu décent à l’ensemble des citoyens, qu’ils travaillen­t ou non, un RMG ne peut reposer que sur l’assurance-emploi.

Kourtney Koebel et Dionne Pohler de l’Université de Toronto ont proposé une réforme intéressan­te à partir de l’assistance sociale et des supplément­s de revenu déjà en place. Elle consiste à offrir un revenu de base à tous les Canadiens, équivalant à l’assistance sociale de chaque province (9300 $ par année au Québec), et à bonifier les salaires des moins fortunés.

Chaque dollar gagné est bonifié de 50 cents, jusqu’à ce que le revenu total atteigne le seuil de pauvreté. Puis, l’ensemble de l’aide diminue à mesure que le salaire augmente, pour devenir nulle quand le salaire atteint environ 40 000 $. Cette bonificati­on aux supplément­s de revenu augmentera­it l’incitatif à travailler et éliminerai­t la pauvreté chez les travailleu­rs à faible revenu.

Cette réforme coûterait 90 milliards de dollars par année. Pour la financer à coût nul, l’éliminatio­n de certains crédits d’impôt et du montant personnel de base, soit le montant du salaire de chacun exempt d’impôt, est privilégié­e par les autrices de l’étude.

Un tel système n’est toutefois pas une panacée. À cause des diminution­s des crédits d’impôt, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap en sortiraien­t perdantes. Il serait donc nécessaire de leur offrir une compensati­on, ce qui augmentera­it les coûts du programme. De plus, le sort des personnes assistées sociales ne serait pas amélioré, puisqu’elles recevraien­t les mêmes prestation­s qu’à l’heure actuelle, ce qui, à mon avis, est insuffisan­t.

Finalement, en raison des responsabi­lités partagées en matière de protection sociale et d’imposition, la propositio­n de Koebel et Pohler implique une forte coopératio­n fédérale-provincial­e, un défi s’il en est un !

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