Le noeud gordien du MBAM
Plus d’une centaine d’employés et anciens employés du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) ont pris la plume cette semaine à pleins journaux pour offrir en missive collective leur version du feuilleton entourant le congédiement de la directrice générale de l’établissement, Nathalie Bondil, qui aura fait couler tant d’encre sous la canicule de la métropole.
« Devant ce tumulte de commentaires et de prises de position publiques, nous avons gardé le silence et tenté de nous concentrer sur notre travail. Mais, trop, c’est trop ! » s’écrient-ils. Tout en reconnaissant les mérites de Nathalie Bondil, on les voit dénoncer une atmosphère de harcèlement et d’intimidation récurrents, de chaos, de stress, de manque de reconnaissance, longtemps cautionnée en haut lieu.
Ils affirment avoir depuis trois semaines un nouvel élan grâce à la bienveillance du conseil d’administration qui aurait pris à leurs yeux une décision responsable. Les signataires se montrent ulcérés contre Thomas Bastien, l’instigateur d’une pétition de membres de la Corporation du Musée réclamant une assemblée générale pour sceller, entre autres, le sort de onze administrateurs. Devant le refus du conseil de leur accorder cette assemblée, un des membres s’est tourné cette semaine vers la Cour supérieure afin d’en obliger la tenue.
En réplique, Nathalie Bondil a évoqué une saga violente, estimé la lettre dure et injuste, et affirmé que certains employés l’auraient signée sous la pression, ce que des voix de l’ombre corroborent.
Depuis la mi-juillet, on aura entendu les voix du président du conseil d’administration, Michel de la Chenelière, et de Nathalie Bondil. Maintenant celle des employés. Que de fracas et de points de vue contradictoires !
« Audi alteram partem », répétait à tout vent notre ancien premier ministre Bernard Landry, avocat de formation, dont les références jugées trop savantes faisaient rire bien des Québécois. Pourtant, cette vieille maxime latine fondée sur les principes de justice est employée couramment en droit. « Écoute l’autre partie » renvoie au devoir de laisser chaque camp s’exprimer afin de juger un litige en pleine connaissance de cause.
À notre époque d’instantanéité, alors que les médias sociaux tranchent à la vitesse de l’éclair et que les tribunes d’opinions s’enflamment comme des tisons, difficile de garder sa boussole, surtout quand un sujet, très émotif, polarise à ce point. Mais on devrait y tendre.
Espoirs et pots cassés
Il faut dire que cette éjection, qualifiée par Nathalie Bondil de lynchage, effectuée subito presto, ne nous fait guère une belle jambe à l’étranger. L’ancienne directrice générale, avec ses contacts partout, aura mis le MBAM sur la carte du monde en plus de ramener le grand public dans ses murs. Le rayonnement du Musée sous sa gouverne fut énorme. Elle aura peu éclairé les oeuvres québécoises pour autant, et certaines de ses expos jouaient la carte du populisme trop ostensiblement.
L’un dans l’autre, son dynamisme et sa capacité de mettre les courants artistiques en perspective ancrent son héritage dans une vraie modernité. Après la tempête émergent des pots cassés, des liens internationaux sectionnés, des mécènes moins enclins à s’y frotter, des membres outrés, une réputation muséale entachée, mais aussi la volonté des employés de mieux respirer à demeure.
La nomination par le conseil de Mary-Dailey Desmarais à la direction de la conservation, issue d’un clan influent et généreux pour le musée, offrait des apparences de conflit d’intérêts. Mais le poste est ouvert pour la succession de Nathalie Bondil et ceux qui criaient au putsch dirigé par le président du conseil d’administration assurant l’intérim doivent reconnaître sa volonté de ne pas s’y incruster.
On entendait à travers les branches du milieu parler d’un climat toxique au MBAM, et tout indique qu’il y avait vraiment un os de ce côté-là. Or, de nos jours, ces allégations ne peuvent être écartées comme de simples piques au flanc d’une visionnaire.
La ministre de la Culture, Nathalie Roy, a eu raison de réclamer une enquête sur ce congédiement et ses causes. Depuis le début de l’affaire, des points demeurent obscurs. Le fossé entre les camps paraît trop béant pour éviter le choc des commentaires, cirque médiatique dénoncé par les employés signataires. Mais comment l’éviter ? Un musée, c’est un ensemble de réalisations et une aura, mais aussi un milieu de travail et une oeuvre collective. Or plusieurs, par parti pris, ne voient qu’un segment de cette triste affaire, faute aussi d’avoir toutes les cartes en main.
Que la lumière soit faite sur les problèmes de gestion en amont dénoncés par les employés de la boîte en choeur et sur les décisions du conseil ! Espérons que le rapport d’enquête ministériel, mené par Daniel Beaupré, saura sans partisanerie démêler les fils d’une situation complexe qui ternit gravement le blason du musée, pour l’aider à réinventer son avenir. Car oui, les employés méritent aussi d’être écoutés. Audi alteram partem.
À notre époque d’instantanéité, alors que les médias sociaux tranchent à la vitesse de l’éclair et que les tribunes d’opinions s’enflamment comme des tisons, difficile de garder sa boussole, surtout quand un sujet, très émotif, polarise à ce point. Mais on devrait y tendre.