Le Devoir

L’OSM et la question du style

Il y a désormais un décalage entre ce que le monde pense de l’OSM et ce qu’est l’OSM

- MUSIQUE CLASSIQUE CHRISTOPHE HUSS

La cheffe finlandais­e Susanna Mälkki est venue s’astreindre à une quarantain­e au Québec pour diriger l’OSM, mercredi, jeudi et vendredi derniers, dans une série de trois concerts qui devaient adopter le même schéma que ceux menés par Bernard Labadie début septembre : une présentati­on en salle devant 250 personnes, relayée ensuite les mardis sur Internet dans une formule payante, chaque programme étant disponible pendant une semaine.

Les circonstan­ces en ont voulu autrement. Les concerts de jeudi et de vendredi ont été assurés, mais dans une Maison symphoniqu­e vide.

Musicienne motivée

Dans le cas de Susanna Mälkki, le concert de vendredi était relayé par medici.tv, où il est offert sur demande, mais aussi en direct à la télévision sur Mezzo Live HD, qui le rediffuser­a dès samedi.

Ce concert était très important, car la motivation de la Finlandais­e dans la course à la succession de Kent Nagano ne fait aucun doute. Dans quelle mesure cet intérêt est-il partagé par l’administra­tion de l’OSM ? Cette dimension reste évidemment un mystère. Il nous avait semblé que le cas était très largement réglé après le flop de la première rencontre, au Festival de Lanaudière en 2018 dans la Symphonie fantastiqu­e. Le « second tour » ne fait que confirmer la première impression, vendredi comme mercredi. Voici pourquoi.

Susanna Mälkki est une cheffe élégante, sobre et compétente. Elle est aussi francophon­e et réfléchie. La vidéo de vendredi était précédée d’une présentati­on si intellectu­ellement nébuleuse et détachée du concret et de l’expérience musicale et sensoriell­e qu’on croirait entendre du Kent Nagano, mais sans l’humour souvent déployé par ce dernier au détour d’une phrase.

Sur scène, c’est pareil, et les limites se recoupent entre Berlioz, Mozart, Debussy, Strauss et Wagner : la manière d’articuler la musique, la manière d’avancer dans les phrases de Susanna Mälkki est majoritair­ement esthétisan­te, descriptiv­e plus qu’agissante, à l’exception d’une efficace Symphonie inachevée lors du concert de vendredi.

L’OSM, orchestre français ?

Si ce concert était important, c’est qu’à l’heure du choix d’un directeur musical une question fondamenta­le se pose. Que faire de l’identité « française » accolée depuis quatre décennies à l’OSM ? S’il y eut un ratage majeur entre toutes les prestation­s dirigées par Susanna Mälkki, ce fut bien le Prélude à l’aprèsmidi d’un faune de Debussy. Après s’être perdue dans une digression verbale sur Debussy et Wagner sans rapport avec cette oeuvre, la cheffe l’a étirée (en 11 min 30 sec) dans une vision engluée avec une absence de mouvement, de souplesse et d’élan, et une errance rédhibitoi­re de style. Points de comparaiso­n pertinents : une vidéo de FrançoisXa­vier Roth à Londres (en 9 min 45 sec) ou le génial enregistre­ment de Jean Fournet à Amsterdam (10 min 15 sec), que l’on trouve aussi sur YouTube.

La préservati­on de l’expertise française de l’OSM, ou son abandon, sera stratégiqu­ement un enjeu du prochain mandat. Comme l’a écrit Arthur Kaptainis dans La Gazette dans son bilan de l’ère Nagano : « La réputation persistant­e de l’OSM en tant qu’orchestre “français”, basée sur un énorme legs d’enregistre­ments Decca, a dû créer une certaine frustratio­n pour Nagano lorsque des présentate­urs étrangers ont insisté pour entendre le répertoire auquel il était encore assimilé. »

Le fait est qu’il y a désormais un décalage entre ce que le monde pense de l’OSM et ce qu’est l’OSM. Ainsi, dans le lot des vidéos diffusées gratuiteme­nt par l’orchestre entre mars et septembre, seul autour de 15 % du répertoire était français. À la notable exception de L’aiglon, le répertoire joué ces 15 dernières années ronronne minimaleme­nt dans un conformism­e stérile et redondant. Si, en plus, on perdait le style…

Où en est-on ?

Cela nous amène à évoquer le processus de sélection, mis à mal en mars dans sa phase finale qui devait voir entre mars et mai un défilé déterminan­t de candidats majeurs. Il faut espérer que la perturbati­on du calendrier n’entraînera pas l’OSM dans des décisions hâtives.

D’où l’intérêt de l’apport d’oxygène financier très attendu venu vendredi avec l’annonce du programme d’aide gouverneme­ntal basé sur les revenus de billetteri­e perdus. L’OSM a réagi immédiatem­ent par communiqué : « L’annonce d’aujourd’hui amoindrit l’impact des nouvelles directives annoncées au début de la semaine et nous permet de planifier nos activités des semaines et des mois à venir avec un certain filet de sécurité », déclarait notamment Madeleine Careau, cheffe de la direction.

La stratégie de l’aide par compensati­on des billets sur la foi des revenus antérieurs était depuis plusieurs mois dans la ligne de mire des institutio­ns. L’OSM, qui aura, pour se faire valoir, une « année de référence Nagano » pour compenser une année sans directeur musical, se « réjouit que le gouverneme­nt ait décidé de compenser les organismes culturels sur la base des revenus de billetteri­e perdus », mais n’a, curieuseme­nt, pas émis dans son communiqué un quelconque voeu de retour rapide du public dans les salles, ni fait remarquer que « l’adoption d’un rigoureux protocole sanitaire » étudié pendant plusieurs mois s’était avérée particuliè­rement sécuritair­e.

Sa seule conclusion est que : « les équipes de création de l’OSM ont déjà commencé à élaborer un plan visant à accroître sa présence en ligne au cours des prochaines semaines ». Fort louable. Sauf que, alors qu’au printemps et en été la planète entière était logée à la même enseigne, aujourd’hui, comme le montrent depuis le 25 septembre les stériles programmes Sound / Stage d’un Philharmon­ique de Los Angeles dans un Hollywood Bowl désespérém­ent vide et glacé, les vidéos de musiciens masqués sur une scène devant des salles vides témoignent ouvertemen­t au monde du ratage de certaines sociétés ou politiques face à la réussite des autres, qui peuvent partager des concerts enflammés de vraie musique devant de vraies gens.

Susanna Mälkki et la Symphonie inachevée de Schubert Debussy : Prélude à l’après-midi d’un faune. Schubert : Symphonie n° 8

« Inachevée ». Wagner : Siegfried-Idyll. Orchestre symphoniqu­e de Montréal, Susanna Mälkki. Maison symphoniqu­e de Montréal, vendredi 2 octobre. Diffusion sur Mezzo Live HD (reprise le 10 octobre à 13 h). Visionneme­nt possible sur Medici.tv.

 ?? ANTOINE SAITO ?? Susanna Mälkki est une cheffe élégante, sobre et compétente. Elle est aussi francophon­e et réfléchie. Mais sa manière d’articuler la musique, sa manière d’avancer dans les phrases est majoritair­ement esthétisan­te, descriptiv­e plus qu’agissante.
ANTOINE SAITO Susanna Mälkki est une cheffe élégante, sobre et compétente. Elle est aussi francophon­e et réfléchie. Mais sa manière d’articuler la musique, sa manière d’avancer dans les phrases est majoritair­ement esthétisan­te, descriptiv­e plus qu’agissante.

Newspapers in French

Newspapers from Canada