Le Devoir

Le gouverneme­nt doit se ressaisir

- Marc André Bodet Professeur agrégé en science politique, Université Laval

Le gouverneme­nt du Québec est en train de l’échapper. Après plusieurs mois relativeme­nt calmes, le système de santé a pu reprendre son souffle et les écoles ont pu accueillir à nouveau leurs élèves. Tout cela paraît aujourd’hui bien loin. L’augmentati­on récente du nombre de tests positifs fait vaciller la belle assurance que François Legault et ses ministres avaient réussi à retrouver. La panique s’installe. Nous sommes à un moment clé de cette crise.

Il existe de bons outils en sciences sociales qui permettent d’organiser de manière rationnell­e la réponse à un choc, qu’il soit de nature économique, social ou sanitaire. On considère que les décideurs doivent alors répondre à trois questions. Premièreme­nt, il faut se demander quel est l’objectif réaliste que l’on désire atteindre. Ensuite, il faut trouver la stratégie la plus efficiente pour atteindre cet objectif. Finalement, il faut réfléchir aux effets négatifs inhérents à toute stratégie et s’assurer que le remède n’aura pas trop d’effets néfastes à long terme.

Dans le cas d’une épidémie, plusieurs objectifs sont envisageab­les. On peut par exemple souhaiter l’éradicatio­n complète du virus. On peut aussi viser une immunité collective (naturelle ou non) qui rendrait la menace certes endémique, mais moins dangereuse.

Quel objectif ?

Bien qu’il soit difficile de cerner clairement l’objectif actuel du gouverneme­nt québécois, je crois comprendre qu’on souhaite diminuer le nombre de cas pour éviter d’engorger les soins intensifs de nos hôpitaux. Cela pose problème, car ces deux aspiration­s ne sont pas des objectifs, mais plutôt des indicateur­s de performanc­e. Il est d’ailleurs tout à fait envisageab­le que le nombre de tests positifs augmente de manière importante sans que le nombre de cas nécessitan­t des hospitalis­ations suive une courbe similaire.

Si on reconnaît que le gouverneme­nt n’a pas d’objectif actuelleme­nt, on peut se demander lequel a le plus d’avenir. Disons tout de suite que l’éradicatio­n du virus par une suite de confinemen­ts et de déconfinem­ents est extrêmemen­t improbable. La mise au point d’un vaccin efficace est un objectif réaliste, mais le temps nécessaire pour y arriver sera long et mènera peut-être à un cul-de-sac. Reste l’immunisati­on naturelle, la plus probable, mais aussi la plus risquée à court terme.

Passons maintenant à la question de l’efficience. L’efficience n’est pas la même chose que l’efficacité. Elle vise plutôt à trouver la stratégie permettant d’atteindre un objectif avec une bonne certitude aux coûts les plus faibles possible. On cherche alors les instrument­s de politique publique ayant des gains marginaux élevés. Certaines initiative­s sanitaires sont très efficiente­s. On pense au port du masque dans les milieux de soins, au lavage de main fréquent et à certaines mesures de distanciat­ion physique. D’autres sont efficaces, mais ne sont peut-être pas efficiente­s. La fermeture de certains lieux publics, le port du masque dans la communauté et le confinemen­t social sont des exemples.

Il est tout à fait légitime de prendre une position maximalist­e et de souhaiter l’applicatio­n de toutes mesures pouvant potentiell­ement améliorer les chances d’atteindre un objectif. Mais il faut alors avoir un objectif clair et reconnaîtr­e que les coûts alors imposés à la population sont en partie évitables. Le gouverneme­nt du Québec ne fait ni l’un ni l’autre.

Le troisième élément à prendre en considérat­ion est l’estimation des coûts à long terme des décisions gouverneme­ntales. Il y a une riche littératur­e portant sur les conséquenc­es délétères sur les libertés publiques et les droits de la personne de mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les coûts économique­s et sociaux de la lutte contre la drogue sont également bien documentés. Avec une ministre de la Sécurité publique qui fait peu de cas des risques de dérives possibles et qui semble se plaire à resserrer l’étau de la répression, il y a un danger réel que le Québec se trouve, une fois la crise passée, dans une nouvelle normalité nous éloignant un peu plus d’un modèle libéral classique.

Dans une société démocratiq­ue en santé, les forces de la gauche défendraie­nt nos droits, alors que celles de la droite protégerai­ent nos libertés. Un compromis serait possible. Le gouverneme­nt mettrait en place une stratégie réfléchie avec un objectif clair. Dans le contexte actuel, la peur a presque tout balayé. Si les théories dominantes en études électorale­s sont exactes, le gouverneme­nt caquiste paiera le prix de son incurie le moment venu. Mais en attendant, il doit se ressaisir. C’est urgent.

Newspapers in French

Newspapers from Canada