Comment s’adresser aux complotistes
Inquiet de voir les mouvements antimasques contrecarrer les efforts jusqu’ici déployés pour freiner la pandémie, le gouvernement provincial voulait lancer, à la fin du mois de septembre, une campagne anticomplotisme spécialement destinée à l’auditoire de Radio X à Québec. Après le refus de la station de diffuser ces publicités, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer la chaîne.
Toutefois, si on se base sur la littérature qui traite du sujet, on peut penser que le ton adopté dans ces annonces aurait de toute façon causé leur échec, de même que le contenu des messages qui était apparemment fondé sur une faible compréhension des publics visés (le pluriel étant utilisé ici intentionnellement pour marquer l’hétérogénéité des groupes que l’on désire atteindre).
Rappelons avant tout une nuance que l’on ne martèle peut-être pas suffisamment, à savoir qu’il existe une différence fondamentale entre ce que l’on désigne comme la « mentalité conspirationniste » et la combinaison de méfiance et de déni qui pousse parfois des individus à se laisser séduire par une théorie de complot. Particulièrement pertinente dans le cadre d’une campagne de communication, cette distinction concerne le rapport à la connaissance. En effet, alors que le complotiste est, par définition, complètement imperméable à toute tentative de persuasion, le simple adepte sera beaucoup plus ouvert à la discussion, ne demandant parfois même qu’à être mieux informé, à condition qu’on s’adresse à lui correctement.
Pour s’adresser à la détresse, l’empathie est toujours plus efficace que l’arrogance
Pour bien comprendre l’argument, il est utile de s’attarder un peu sur la mentalité conspirationniste. En réalité, chaque théorie de complot qui voit le jour se fonde sur une seule et même croyance de base qui suppose qu’un petit groupe d’individus puissants se soit approprié la « marche du monde » et que ces derniers se coordonnent en secret pour éviter que les citoyens s’en aperçoivent. Dans cet univers, les institutions démocratiques et les médias traditionnels sont considérés comme des complices qui tentent de dissimuler les agissements de cette communauté secrète en construisant un discours destiné à faire accepter une fausse interprétation de la réalité. Le but du complotiste est alors de trouver la vérité qui se cache derrière les faux discours et, à terme, de renverser le système. Dans sa quête de véracité, il rejette automatiquement toute communication provenant des institutions traditionnelles, qu’il considère inévitablement comme faisant partie du complot. Ainsi, aucun contre-argument ne pourra jamais atteindre un vrai complotiste.
Empathie
Fort heureusement, ce petit groupe d’irréductibles représente moins de 10 % de la population, et aucune étude en profondeur n’a jusqu’ici pu démontrer qu’il aurait pris de l’ampleur. Ce que les recherches récentes semblent indiquer par contre, c’est une augmentation de la méfiance envers les autorités. Face à un ennemi invisible, un virus que très peu ont même expérimenté dans leur réalité quotidienne, dans un contexte où la vie entière est chamboulée, en même temps que la perception de contrôle, et à un moment où les autorités multiplient les restrictions sans toujours se soucier de la cohérence ou de la clarté du message, le sentiment d’impuissance semble avoir conduit plusieurs citoyens au doute, puis au rejet. Or, bien que les positions parfois extrêmes adoptées par certains pour exprimer ces doutes soient, avouons-le, franchement irritantes, il est utile de se rappeler que celles-ci cachent souvent de la détresse. Et, pour s’adresser à la détresse, l’empathie est toujours plus efficace que l’arrogance.
Étrangement, dans la conception de cette campagne anticomplotiste, le gouvernement semble avoir mis de côté cette empathie qui contribue pourtant au succès de ses communications depuis le début de la crise. Ici, il semble avoir plutôt choisi d’adopter une position d’autorité et un ton provocateur qui donne l’impression de « disqualifier » certains publics.
En mettant par exemple en garde les citoyens contre les « m’as-tu-vu sur l’Internet » et les « charlatans », on laisse entendre aux auditeurs qu’on les considère comme incapables de détecter par eux-mêmes une information trompeuse. De même, en accusant les citoyens de perdre leur temps avec « la grande inquisition », on semble vouloir remettre en cause leur rôle, pourtant démocratique, de participer au débat. Malheureusement, la dévalorisation même accidentelle de l’interlocuteur risque toujours d’entraîner des résultats contraires à ceux escomptés et de le pousser encore plus loin sur la voie de la colère et du rejet, surtout quand on s’adresse à un segment de la population qui se sent déjà méprisé et incompris, comme c’est souvent le cas des individus plus sensibles à la désinformation.
Autrement dit, ce type de message n’aurait probablement réussi qu’à heurter encore un peu plus les publics cibles et à raffermir leur conviction qu’ils ont raison de se méfier des institutions. Dans un contexte où le tissu social est déjà fragilisé, le choix de Radio X de retirer ces publicités pourrait donc avoir permis d’éviter de renforcer ce que l’on désirait combattre. Peut-être est-ce là l’occasion de changer d’approche et de traiter ce problème complexe avec plus de diplomatie. Car sans diplomatie, il ne reste bien souvent que le conflit.