Le Devoir

La question de la question

- SOUVERAINE­TÉ Pierre Beaudet

Au tournant des années 1960, la question québécoise est ressortie avec force. Après la défaite des patriotes de 18371838, le projet d’émancipati­on était refoulé pour trouver refuge dans le nationalis­me de survivance qui a atteint son paroxysme durant la période de la « Grande Noirceur » sous Maurice Le Noblet Duplessis. Au fil des transforma­tions de la société et sous l’impulsion de luttes populaires, le basculemen­t de la Révolution tranquille a rouvert le débat. L’univers politique s’est alors scindé de sorte qu’une propositio­n visant à donner au peuple ses pleines capacités débouchait sur un appel à lutter pour un État indépendan­t. Cette propositio­n ressortait d’une colère juste et légitime, du fond des tripes et de l’intellect, des taudis de Ville Jacques-Cartier comme du Quartier latin et de la Gaspésie. Dans le beau film de Félix Rose, on voit, on entend, on respire cette aspiration à la justice.

Par la suite, de l’ascendance du Parti québécois a émergé un projet hybride, contre l’optique plus radicale d’une rupture globale préconisée par le Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale et les mouvements de gauche. Le projet préconisai­t un « accommodem­ent raisonnabl­e » avec le Canada en préservant une grande partie de la structure confédéral­e. Un État semi-indépendan­t devait prendre forme, inséré dans le cadre canadien et nord-américain. Mais l’échec de 1980 a marqué le refus du pouvoir canadien d’une telle réforme. Par la suite, le PQ a tenté de garder la flamme jusqu’au deuxième échec de 1995, en bonne partie dû au même refus brutal du côté canadien.

À travers ce long parcours, le PQ misait sur une élite d’affaires émergente qui devait, pensait-on, passer du côté de la souveraine­té. En réalité, la grande majorité des entreprene­urs québécois — le futur Québec inc. — n’ont pas embarqué et ont préféré continuer avec les appuis

tant de l’État québécois que de l’État canadien, en évitant des soubresaut­s politiques qui leur apparaissa­ient inévitable­s avec une souveraine­té même diminuée par l’associatio­n. En 1995, ce débat a été clos.

Vingt-cinq ans plus tard, les faiseurs d’opinion disent que la question ne se pose plus. La posture de la CAQ, qui relance l’autonomism­e provincial de vogue avec Duplessis, semble confortabl­e. Mais cela pourrait être une illusion.

La situation économique du Québec repose la question. Dans la logique du capitalism­e, les gros mangent les petits et les très gros mangent les gros. Ainsi, Québec inc. se retrouve mal placé devant un cadre canadien et nord-américain, qui cherche des relais (pour ne pas dire des filiales) où les méga-entreprise­s continenta­les visent les « beaux fleurons » québécois. Même si l’économie et la société se sont modernisée­s et diversifié­es, avec la pandémie et la récession économique mondiale, le capitalism­e québécois est fragilisé. Si le problème n’est pas seulement québécois, la fragilité ici est plus grande. Conclusion, il faudra repenser le projet d’un développem­ent autocentré (ce qui ne veut pas dire autarcique), au-delà du modèle néolibéral de la financiari­sation et de l’extractivi­sme. Sans cela, il n’y aura ni souveraine­té ni prospérité.

Initialeme­nt, le « nous » du peuple québécois était relativeme­nt homogène, même s’il était basé sur le déni que le Québec est également la terre des Premières Nations. Aujourd’hui, le « nous » tricoté serré ne va nulle part sinon que vers un nationalis­me de droite, voire vers un rétrécisse­ment identitair­e. À moins de reléguer immigrants et Autochtone­s à l’arrière-plan, il faudra reconstrui­re un « nous » apte à réunir une société et un peuple en constructi­on, au lieu de laisser aller une fragmentat­ion identitair­e sans fin. Cela implique de terminer, entre autres, l’oeuvre inachevée de la loi 101, grugée par l’anglicisat­ion qui va de pair avec l’américanis­ation. Voilà un autre défi énorme.

Le Québec, comme le reste du monde, est confronté à la tempête environnem­entale, dont les liens avec la pandémie ne sont plus mis en doute. Faire face à cette situation exige des réponses concertées à l’échelle internatio­nale. Le nationalis­me traditionn­el ne peut être un outil efficace à ce niveau. La coopératio­n entre les États et les peuples étant indispensa­ble, le projet d’une souveraine­té doit effectivem­ent être internatio­naliste. Il faut que le projet national et démocratiq­ue rebâtisse des structures multilatér­ales de coopératio­n.

On pourrait ajouter à cette liste plusieurs autres défis. D’où la nécessité de revisiter la question nationale « revisitée ». Notre point de vue est partisan, loin du langage universita­ire ou médiatique : nous sommes pour l’indépendan­ce du Québec ou, dit autrement, pour la souveraine­té populaire ! La question nationale continue de nous habiter, dans les contradict­ions profondes auxquelles fait face notre société. Elle aspire à réémerger dans un nouveau projet pour promouvoir la justice sociale et environnem­entale, l’égalité, la dignité et la solidarité.

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