Le Devoir

Sorti de l’hôpital, Trump minimise la COVID-19

Comme d’autres leaders autoritair­es, le président américain, en chute dans les sondages, cherche depuis des jours à contrer l’image de faiblesse associée à la maladie

- FABIEN DEGLISE

Au-dessus de tout, y compris de la COVID19. Donald Trump a précipité lundi soir sa sortie du Walter Reed National Military Medical Center, où il était entré vendredi, en clamant qu’il ne s’est « jamais senti aussi bien depuis 20 ans », mais également en appelant ses fidèles à ne pas « avoir peur de la COVID-19 » et à ne pas laisser la maladie « prendre le contrôle de [leur] vie ».

Un congé autorisé par son équipe médicale et qui était prévisible pour un homme qui cherche depuis samedi à détourner les regards de l’état de faiblesse dans laquelle son infection au coronaviru­s semble l’avoir plongé. Et ce, alors que les sondages confirment une chute importante de ses appuis dans l’opinion publique.

« Si Donald Trump voulait quitter l’hôpital si rapidement, c’est pour faire la démonstrat­ion que la COVID-19 n’est pas vraiment une maladie dangereuse et qu’il a donc bien fait de ne pas sonner l’alarme plus tôt, commente le politicolo­gue américain Guy Peters de la University of Pittsburgh, joint par Le Devoir en Pennsylvan­ie. Mais il doit aussi revenir rapidement dans la campagne électorale pour contrer une baisse dans les sondages, à moins d’un mois du vote, et il doit le faire avec une image de “dur à cuire” que cette sortie rapide de l’hôpital va peut-être lui procurer. »

Dimanche, le plus récent coup de sonde lancé par NBC et le Wall Street Journal a accordé en effet 14 points d’avance à Joe Biden, avec 53 % des intentions de vote pour le démocrate contre 39 % pour le président sortant. Donald Trump traîne la patte dans plusieurs États, dont l’Arizona, qui n’a pas voté démocrate depuis 1996, et où un sondage Times / Siena a laissé entrevoir lundi une victoire de l’ex-vice-président par 8 points, avec à peine 6 % d’indécis au sein de la population. Des chiffres qui commandent à l’équipe de campagne de Donald Trump une riposte rapide.

Inconcevab­le aveu de faiblesse

Lundi matin, depuis le Walter Reed National Military Medical Center, Donald Trump a d’ailleurs lâché sur Twitter une rafale de messages écrits en lettres majuscules pour appeler ses troupes à voter pour lui afin d’assurer « la loi et l’ordre », pour « Space Force », son armée de l’espace, pour « des coupes massives » dans les impôts et les politiques réglementa­ires. Entre autres.

Toute la journée de lundi, des proches du président ont également multiplié les commentair­es pour souligner la bonne forme et l’esprit alerte de l’occupant de la Maison-Blanche, à la veille d’une sortie de l’hôpital annoncée depuis la veille. « Je viens juste de parler au président et il avait l’air très dynamique », a résumé sur Twitter le sénateur de la Caroline du Sud, Lindsey Graham, président du comité de la justice du Sénat qui, la semaine prochaine, va amorcer la procédure de nomination de la nouvelle juge à la Cour suprême, la conservatr­ice Amy Coney Barrett. Deux sénateurs du comité ont pourtant été déclarés positifs à la COVID-19. Il était « actif et prêt à se remettre au travail », a-t-il ajouté.

Dans une entrevue à la radio privée chrétienne du Salem Radio Network, le conseiller de la Maison-Blanche en matière de sécurité intérieure, Robert C. O’Brien, a affirmé que Donald Trump avait été « incroyable­ment dynamique » durant une téléconfér­ence de 30 minutes dimanche. « Nous avons pu lui faire un briefing sur tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés à travers le monde du point de vue de la politique étrangère et de la sécurité nationale, a-t-il dit. Il a donné des conseils et a exposé ses politiques à son équipe. »

Pour le spécialist­e en gouvernanc­e Louis Côté, professeur à l’École nationale d’administra­tion publique, « les chefs d’État sont en constante représenta­tion et refusent bien souvent de se mettre en scène dans la maladie, dit-il au téléphone. Pour Donald Trump, cet aveu de faiblesse est tout simplement inconcevab­le, lui qui s’affiche depuis toujours comme puissant et fort ». Et ce, même si les traitement­s qu’il a reçus dans les derniers jours semblent raconter une autre histoire.

Dans les pages du Washington Post, Robert Wachter, directeur du Départemen­t de médecine à l’Université de Californie, a souligné que le « remdésivir et la dexaméthas­one », un antiviral et un corticosté­roïde, étaient prescrits pour les formes graves de la maladie, plutôt que légères ou modérées, soit l’état dans lequel l’équipe médicale de Trump prétend que le président se trouve. « Je ne crois pas qu’il soit correct de donner son congé après 72 heures à un patient suffisamme­nt malade pour prendre [ces deux médicament­s], y compris avec les capacités médicales de la Maison-Blanche. »

« Le président et son équipe politique ont décidé de ce congé, pas ses médecins », a ajouté William Schaffner, spécialist­e en maladie infectieus­e à la Vanderbilt University, au Tennessee.

En après-midi, Sean Conley, médecin du président, a repoussé du revers de la main l’idée que des pressions aient été exercées par Donald Trump sur le corps médical pour accélérer sa sortie de l’hôpital militaire. « Au cours des 24 dernières heures, la santé du président a continué à s’améliorer, a-t-il dit pour justifier ce « plan de retour à la maison ». « Même s’il n’est pas encore tout à fait sorti du bois », son état « peut supporter ce retour », a-t-il ajouté. « L’équipe médicale a fait des recommanda­tions sur la manière de faire pour [que le président] s’acquitte en toute sécurité de ses fonctions à la Maison-Blanche, où plusieurs assistants ont été déclarés positifs. »

Lundi, l’attachée de presse de Donald Trump, Kayleigh McEnany, a annoncé qu’elle avait été contaminée par la COVID-19 tout en affirmant ne pas avoir de symptômes. Cela porte à 11 le nombre des proches du président infectés par la maladie à ce jour.

Contrôle permanent

« Des présidents, comme Ronald Reagan, se sont montrés très transparen­ts sur leurs problèmes de santé, dit Guy Peters. Quand Boris Johnson a contracté le virus, il n’a rien caché de ses traitement­s. Mais d’autres essayent de minimiser leur maladie, particuliè­rement les leaders autoritair­es, qui ont besoin de montrer qu’ils sont toujours en contrôle du pouvoir. »

Lundi, Ryan Noble, porte-parole de la campagne du président, a indiqué sur Twitter que Donald Trump avait bel et bien l’intention de participer au prochain débat télévisé des candidats, prévu le 15 octobre, soit le dernier jour de sa quarantain­e.

Tout en annonçant sa sortie de l’hôpital, Donald Trump, lui, a souligné sa contributi­on à la lutte contre la pandémie. « Nous avons développé, sous le gouverneme­nt Trump, de très bons médicament­s et de très bonnes connaissan­ces », a-t-il tweeté, sans mentionner les 205 000 décès de la COVID-19 aux États-Unis.

« Qu’un président essaye de maquiller son état de santé, c’est normal, dit Louis Côté. Mais ce qui est plus grave, c’est la négligence face à cette maladie et ses conséquenc­es sociales » qui exposent toujours Donald Trump au jugement sévère des électeurs.

Lundi, un sondage CNN mené par SSRS Research dans les jours qui ont suivi l’annonce de la contaminat­ion de Donald Trump a montré que 69 % des Américains croyaient très peu les informatio­ns au sujet de son état de santé. Et 66 % qualifient d’irresponsa­ble sa gestion de la crise, jusqu’à maintenant, le voyant ainsi comme la victime désormais de sa propre incompéten­ce.

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Après avoir gravi quelques marches et regagné le balcon de la résidence présidenti­elle, lundi en fin de journée, le président américain, qui a passé quatre jours à l’hôpital pour être traité pour le coronaviru­s, a levé le pouce en direction des journalist­es. Il a même enlevé son masque, pris la pose et est rentré dans la Maison-Blanche avec son couvre-visage dans la poche de son veston.
WIN MCNAMEE AGENCE FRANCE-PRESSE CORONAVIRU­S Après avoir gravi quelques marches et regagné le balcon de la résidence présidenti­elle, lundi en fin de journée, le président américain, qui a passé quatre jours à l’hôpital pour être traité pour le coronaviru­s, a levé le pouce en direction des journalist­es. Il a même enlevé son masque, pris la pose et est rentré dans la Maison-Blanche avec son couvre-visage dans la poche de son veston.

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