Phénomènes sur écran
Le festival Phénomena offre une programmation 100 % numérique, où Michel Faubert nous entraîne dans le Québec mystique du siècle dernier
Qui a besoin d’effets spéciaux ?
Dans la pénombre de la Sala Rossa, Michel Faubert convoque les fantômes, les martyrs, les mystiques, les ivrognes, les meurtriers, les médiums et les fous, pour nous plonger dans le Québec ancien, le Québec halluciné d’avant la Révolution tranquille.
Accompagné de Bernard Falaise à la guitare, le conteur a monté le spectacle
La chapelle ardente pour le festival Phénomena, qui tient une édition 2020 100 % numérique contre vents et marées.
C’est donc par l’entremise d’un écran que l’on pourra entrer dans l’intimité du conteur et du musicien, et voyager sur le fil du temps à la rencontre d’un Québec pas si lointain, hanté par ses maladies, de la grippe espagnole à la tuberculose, par ses femmes mortes en couches ou ses enfants qui n’atteignent pas l’âge d’un an, et surtout obnubilé par une religion qui lui permet de voir l’au-delà dans la vie ordinaire.
La plupart des textes adaptés pour
sont inspirés du
La chapelle ardente
Manuel de la petite littérature du Québec, une anthologie publiée par VictorLévy Beaulieu en 1974. En pleine effervescence de la Révolution tranquille, ce manuel était le livre de chevet de Michel Faubert, ému de lire les petites histoires de ce peuple replié sur luimême, confiné en quelque sorte, mais qui, par la religion peut-être, voyait grand, « pour toucher les étoiles ».
Souffrance et divination
Le Québec d’avant la Révolution tranquille, c’est aussi celui des grandes épidémies, de la grippe espagnole ou de la tuberculose. « C’est un Québec tourné vers la souffrance et la divination, et aussi vers la mort », dit le conteur en entrevue.
On y rencontre Marie-Rose Ferron, la martyre aux stigmates, et Thérèse
Gélinas, la sainte enfant de Trois-Rivières, mais aussi quelques loups-garous, enfants revenants ou endeuillés ayant perçu l’imminence du décès de proches par intersigne.
« Je ne suis pas croyant », dit Faubert en entrevue, qui reconnaît cependant avoir été fasciné, enfant, par les ex-voto que des croyants avaient érigés, près de chez lui, au nom d’enfants guéris de la polio, par exemple. Dans le religieux, il trouve l’expression fantastique et métaphysique du Québec d’autrefois.
Ce Québec gothique et cauchemardesque, Michel Faubert et Bernard Falaise l’ont enrobé de sonorités et d’éclairages d’aujourd’hui, créant une ambiance à la fois inquiétante et ironique, Faubert ayant par ailleurs endossé un t-shirt à l’effigie du Joker de Batman pour l’occasion.
En entrevue, il relève d’ailleurs que, si la pop francophone a évacué les meurtres et les mystères de ses chansons, ils demeurent présents dans plusieurs pièces du répertoire plus métal qui ont enchanté les années 1980.
Revirement numérique
C’est donc en ligne qu’on peut fréquenter le festival Phénomena jusqu’au 23 octobre, les deux seules manifestations physiques qui étaient prévues en plein air ayant été annulées dans la foulée des dernières directives gouvernementales.
« Moi, je suis une battante, dit D. Kimm, la directrice artistique du festival. Je n’allais pas me laisser abattre. D’autant plus qu’on avait eu nos subventions et qu’on voulait faire travailler les artistes. »
L’équipe a donc filmé deux spectacles complets à la Sala Rossa, pour les rediffuser en ligne : La chapelle ardente, de Michel Faubert, et Cabaret secret, du groupe Cirquantique.
Elle a aussi sollicité des artistes variés afin qu’ils produisent de courtes vidéos, de Stéphane Crête à MarieHélène Bellavance, en passant par une correspondance entre Bernard Falaise et la marionnettiste Marcelle Hudon.
Mais D. Kimm a tout de même eu le coeur brisé de devoir annoncer l’annulation de la parade phénoménale qui devait avoir lieu au parc Baldwin, sous la direction de la chorégraphe Hélène Langevin.
Le festival a également innové en proposant aux festivaliers un passeport variant en prix selon les capacités du client, qui pourra payer 0 $, 20 $ ou 40 $ pour avoir accès à toute la programmation. « Mon objectif est de faire rayonner les artistes dans les communautés des régions. Que l’adolescent de Sept-Îles qui a envie de voir un spectacle d’avant-garde underground puisse y avoir accès », dit D. Kimm.