Le Devoir

Artisans de notre malheur, la chronique de Michel David

- MICHEL DAVID

Lucien Bouchard avait soulevé un tollé quand il avait déclaré dans une entrevue à TVA que les Québécois ne travaillai­ent pas suffisamme­nt par rapport aux Ontariens ou aux Américains. Les indicateur­s lui donnaient pourtant raison. Leur taux de participat­ion au marché du travail était moins élevé, leur semaine de travail était plus courte, ils prenaient plus de vacances et leur retraite était plus hâtive. Peu importe, on a compris que l’ancien premier ministre nous traitait de paresseux et plusieurs ne l’ont pas digéré.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, occupe une place beaucoup plus importante que sa prédécesse­ure dans la stratégie de communicat­ion du gouverneme­nt Legault, mais il s’est aventuré sur le même terrain glissant que M. Bouchard mardi en déclarant sur les ondes de Radio-Canada que les Québécois sont peut-être moins discipliné­s que les Ontariens, ce qui expliquera­it pourquoi le Québec fait beaucoup moins bien dans la lutte contre la COVID-19, aussi bien depuis l’arrivée de la deuxième vague que lors de la première. Bref, ils sont les artisans de leur propre malheur.

Même si aucune donnée objective n’appuie cette analyse, il est bien possible qu’il ait raison. Il y a eu un réel effort au printemps dernier, mais tout le monde a bien noté le relâchemen­t des mois d’été et les réticences de plusieurs à s’imposer de nouveaux sacrifices. À le voir tourner autour du pot, on comprend que M. Dubé sentait manifestem­ent que cette vérité n’était peut-être pas bonne à dire. M. Legault n’a pas voulu reprendre ces reproches à son compte, mais il n’a pas désavoué son ministre.

Blâmer la population est toujours risqué en politique et cela a rarement l’effet recherché. À l’approche de la longue fin de semaine de l’Action de grâce, M. Dubé voulait peut-être nous secouer, mais l’admonestat­ion de M. Bouchard n’a pas fait de nous des bourreaux de travail.

Ses propos ressemblai­ent dangereuse­ment à une excuse pour l’impuissanc­e du gouverneme­nt à freiner la progressio­n du virus. Avancer que la deuxième vague est différente de la première n’explique en rien pourquoi elle frappe plus fort au Québec qu’ailleurs au pays. Il y a aussi des jeunes à Toronto et rien n’indique qu’ils sont moins turbulents.

Si le manque de discipline n’est pas en cause, pourquoi la performanc­e du Québec est-elle à ce point inférieure à celle de l’Ontario, alors que les mesures sanitaires imposées sont plus sévères et qu’on teste davantage ? Le premier ministre s’avoue incapable de percer le mystère ontarien, apparemmen­t aussi opaque que celui de la Caramilk. Affirmer que la situation est bien pire à Boston ou à New York est presque une insulte à l’intelligen­ce. Le pays de Donald Trump n’est certaineme­nt pas une base de comparaiso­n acceptable.

M. Legault s’impatiente à l’Assemblée nationale, son ministre de la Santé blâme la population et le Dr Horacio Arruda a l’air plus mélangé que jamais. Bref, le gouverneme­nt semble à court de solutions. Il avait été ébranlé une première fois après la découverte de l’horreur du centre Herron, mais il avait su réagir en multiplian­t les SOS et il a finalement trouvé le moyen de former des milliers de préposés pour les CHSLD. Cette fois-ci, il croyait avoir fait une trouvaille en peinturant la carte du Québec de différente­s couleurs, mais tout semble vouloir tourner au rouge.

Il est vrai que la deuxième vague est plus compliquée à gérer. La pandémie n’est plus circonscri­te aux CHSLD et à la région montréalai­se, une nouvelle fermeture des écoles est exclue — simplement réduire les activités sportives a provoqué l’indignatio­n et réduire l’activité économique davantage aurait des conséquenc­es catastroph­iques.

La pénurie de personnel est une réalité incontourn­able qui rend notre système de santé plus vulnérable. On doit encore se résoudre à un transfert de personnel qui force les hôpitaux à reporter des interventi­ons, avec tous les risques que cela comporte pour la santé de ceux qui les attendent. Au rythme où les hospitalis­ations augmentent, M. Legault voit « un risque réel de rupture ». Si cela devait se produire, c’est le lien de confiance avec son gouverneme­nt qui risque de se rompre.

Depuis l’élection du 1er octobre 2018, la cuirasse de la CAQ semblait impénétrab­le, mais l’opposition a bien vu la faille et elle va s’appliquer à l’élargir. Au printemps dernier, la grande majorité des Québécois se seraient rangés en bloc derrière M. Legault s’il avait reproché à l’opposition de « chialer » sans rien proposer, mais les questions qu’elle lui adresse maintenant sont celles que se pose aussi la population et il a intérêt à trouver des réponses rapidement.

Avancer que la deuxième vague est différente de la première n’explique en rien pourquoi elle frappe plus fort au Québec qu’ailleurs au pays

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