Le Devoir

Québec boude l’aide d’Ottawa pour retrouver les contacts

Le gouverneme­nt n’a recours qu’à une infime part des téléphonis­tes fédéraux mis à sa dispositio­n

- CORONAVIRU­S MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Le gouverneme­nt québécois déplore depuis des semaines qu’il peine à retrouver les contacts de toutes les nouvelles personnes infectées par le coronaviru­s, qui se multiplien­t à une vitesse éclair en pleine deuxième vague de la pandémie. Mais Le Devoir a constaté que Québec lève le nez sur l’aide offerte en la matière par Ottawa. Le gouverneme­nt de François Legault n’a recours qu’à une

infime part des téléphonis­tes fédéraux mis à sa dispositio­n.

Justin Trudeau a annoncé cet été que Statistiqu­e Canada déléguerai­t 1700 de ses téléphonis­tes afin de prêter main-forte aux provinces dans leurs efforts de recherche d’individus ayant été en contact avec des personnes atteintes de la COVID-19. Ces fonctionna­ires fédéraux font en ce moment 14 000 appels par jour à cet effet, pour épauler les directions de santé publique régionales. Or, de ce chiffre, seuls 1000 appels par jour se font au Québec, a appris Le Devoir.

« L’allocation de nos ressources au Québec est déterminée par la charge de travail fixée par la province », explique Statistiqu­e Canada par courriel. « À l’heure actuelle, cela représente de traiter environ 1000 appels par jour et nous sommes prêts à augmenter ce volume afin de répondre aux demandes supplément­aires qui pourraient être identifiée­s par la province. » L’agence fédérale affirme être disposée à mener jusqu’à 20 000 appels par jour à l’échelle du pays, si nécessaire.

Mais pour l’instant, ses téléphonis­tes font 14 000 appels par jour pour prévenir les contacts de personnes infectées au Québec, en Ontario et en Alberta — dont 13 000 dans ces deux dernières provinces.

Pourtant, le Québec rapporte la majorité des nouveaux cas de COVID-19 déclarés au pays ces jours-ci. Près des deux tiers des 2363 cas rapportés dans tout le Canada mardi se trouvaient au Québec (1364 nouveaux cas, soit 58 % du total national de la journée), tandis que l’Ontario a rapporté 548 cas (23 %) et l’Alberta 276 cas (12 %).

Benoît Mâsse, qui est professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, s’avoue étonné de voir que le gouverneme­nt québécois ne se prévaut que d’une petite part de l’aide fédérale. « Il y a peu d’outils à notre dispositio­n pour contrôler cette deuxième vague », observe-t-il en entrevue avec Le Devoir. « On ne peut pas se permettre de laisser des moyens de nous aider sur la touche. […] On doit profiter de toutes les disponibil­ités, de toute la main-d’oeuvre qu’on peut avoir — surtout si ce n’est pas nous qui la payons. »

Le Dr Quoc Dinh Nguyen, qui est interniste gériatre au CHUM, rapporte à son tour que les équipes qui mènent les enquêtes épidémiolo­giques sur le terrain sont débordées. « On a bien l’impression que du renfort externe est nécessaire pour faire les enquêtes », note ce médecin qui a une spécialisa­tion en épidémiolo­gie.

La recherche de cas délestée

Débordée, la Direction régionale de santé publique de Montréal a avisé ses équipes il y a deux semaines de ne désormais prévenir que les « contacts étroits » des nouveaux malades et de laisser le soin à ces personnes infec

tées d’avertir elles-mêmes le reste de leurs contacts, révélait Radio-Canada.

La Santé publique de la métropole parvient à faire en moyenne 450 appels de recherche de contacts par jour en ce moment. Ce qui semble « peu », selon M. Mâsse, puisqu’on y dénombre des centaines de nouveaux cas quotidienn­ement (442 cas mardi, 269 cas mercredi). Chacun de ces nouveaux malades a eu des dizaines de contacts dans les jours précédant le début de son infection — parfois jusqu’à 80 contacts, selon le ministère québécois de la Santé (MSSS). Des centaines de nouvelles personnes donc à contacter tous les jours. « Alors, on n’est pas en position de dire qu’on va s’en passer, qu’on va se débrouille­r tout seuls », argue M. Mâsse au sujet des téléphonis­tes mis à dispositio­n du Québec par Ottawa.

Le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, a de nouveau reconnu mercredi que la recherche était « l’un des endroits où on peut beaucoup s’améliorer ». Son gouverneme­nt a réussi à recruter au cours des dernières semaines 400 personnes pour prêter main-forte aux équipes épidémiolo­giques, qui s’ajoutent aux 800 personnes déjà en place. « On a un enjeu dans les prochains jours de former ces gens-là pour qu’ils nous aident », a indiqué le ministre, qui espère en recruter encore au moins 500 au sein de la population ou d’autres ordres profession­nels.Son bureau a souligné ces efforts, mais n’a pas expliqué au Devoir pour quelles raisons le gouverneme­nt québécois n’a pas encore réclamé davantage d’aide d’Ottawa, alors que le fédéral propose de faire davantage d’appels de recherche de contacts au Québec.

À Québec comme à Ottawa, il est complexe de quantifier les efforts de recherche de contacts. Certains les mesurent en termes d’employés consacrés à la tâche, d’autres en nombre d’appels menés à cet effet. Aucun ne sait préciser la répartitio­n du travail sur le terrain par région.

De l’aide en route

Le MSSS indique qu’une centaine d’agents de Statistiqu­e Canada sont mobilisés au Québec en ce moment. D’autres terminent leur formation et commencero­nt leur travail dans trois régions cette semaine, tandis qu’une troisième cohorte leur emboîtera le pas prochainem­ent. En Ontario, où l’on dénombre moitié moins de cas de coronaviru­s, 600 téléphonis­tes de Statistiqu­e Canada sont déjà mobilisés depuis juillet selon le gouverneme­nt de Doug Ford.

Benoît Mâsse déplore que le gouverneme­nt québécois « ait tendance à des fois à dire qu’on va se débrouille­r nous-mêmes ». François Legault a aussi hésité plusieurs mois avant d’adopter l’applicatio­n fédérale Alerte COVID, qui aide à retrouver les contacts. « On a perdu du temps », estime M. Mâsse.

Bien que les efforts de recherche de contacts aient déjà pris du retard, le professeur Mâsse et le Dr Nguyen arguent qu’il n’est pas trop tard pour que Québec se dote de davantage de ressources. Car la situation n’est pas près de se calmer, note le Dr Nguyen. On n’est qu’au début du mois d’octobre et les rassemblem­ents, si petits soient-ils, continuero­nt de se faire à l’intérieur en milieux mal ventilés. Et les Québécois sont déjà fatigués d’être en confinemen­t et voudront en être libérés aussitôt que possible. « Dans cette mesure, il faut tout faire en notre moyen pour améliorer notre capacité de retracer des cas afin qu’on puisse tolérer plus de contacts. »

Newspapers in French

Newspapers from Canada