Des villages entre deux eaux
Le va-et-vient des habitants d’une zone d’alerte à l’autre attise les inquiétudes en Gaspésie
Un pont. C’est ce qui sépare la MRC d’Avignon, en zone rouge, de celle de Bonaventure, en zone orange. Un pont que traversent quotidiennement les uns et les autres pour se déplacer d’une zone à l’autre, que ce soit pour aller au travail, faire les courses ou aller chercher des services interdits en zone rouge. Une situation qui fait monter l’anxiété chez les voisins immédiats, où le nombre de cas augmente de jour en jour.
Marise Lévesque, 61 ans, sort ses sacs de la voiture et s’apprête à entrer dans le Maxi de New Richmond. La dame de Carleton-sur-Mer vit en zone rouge, mais elle avait des courses à faire. En zone orange. « On fait attention », dit celle qui a attrapé la COVID avec son mari le 13 septembre et qui a, depuis, terminé sa quarantaine.
Elle n’est pas la seule à traverser le pont qui surplombe la rivière Cascapédia. Selon Éric Dubé, maire de New Richmond et préfet
de Bonaventure, des gens de Carleton ont franchi le pont samedi dernier pour aller jouer au hockey à l’aréna de Bonaventure. « Tu as le goût de leur dire : bravo [les] champions ! Qu’estce que vous n’avez pas compris ? »
Il y a aussi tout le va-et-vient des gens qui travaillent à l’hôpital de Maria, au CHSLD adjacent ou à la résidence privée Lady Maria, où il y a eu des éclosions importantes ces dernières semaines. « Il y a une mobilité de la main-d’oeuvre très grande sur le territoire, explique le préfet. Il y a entre 60 et 70 % des employés de l’hôpital qui habitent du côté de Bonaventure. » Plusieurs de ses propres employés ont un conjoint qui travaille à l’hôpital en zone rouge. « Ils sont à risque aussi, on s’attend à perdre d’autres employés parce qu’ils vont attraper la COVID. »
Dans la salle du conseil, l’homme reçoit à l’instant le dernier bilan local. Il tapote nerveusement sur sa tablette. Deux nouveaux cas dans la MRC de Bonaventure, pour un total de 23 cas actifs.
Le préfet est inquiet. « Il y a trois semaines, on avait zéro cas et là, on est rendu à 23. Et c’est exponentiel. » C’est d’autant plus difficile d’éradiquer la transmission, car celle-ci se fait sur une base communautaire — il n’y a aucun cas dans les résidences pour personnes âgées jusqu’à présent — et personne ne semble savoir comment il a attrapé le virus.
« On ne peut pas prétendre que le virus ne traversera pas la rivière, dit le maire. C’est pourquoi, lundi soir, on a décidé de fermer nos infrastructures municipales suite aux recommandations de la Santé publique ». Un peu comme l’ont fait récemment les maires de Carleton-sur-Mer, de Nouvelle et de Maria. Avant d’être catégorisée zone rouge, la Ville de New Richmond a donc décidé d’ellemême d’imposer des mesures de
Au printemps, on a été confinés, donc on avait plus de contrôle. Maintenant, les normes ne sont pas les mêmes, il n’y a pas de confinement, donc les gens vont quand même se déplacer et se promener. »
Moi, je trouve que c’est plus inquiétant.
NANCY ARBOUR
précautions plus strictes que ce qui est demandé par Québec. « Les gens sont déçus, mais ils s’y attendaient et ils comprennent », assure le maire.
« Ça met de la pression sur les autres municipalités qui vont vers l’Est, affirme-t-il. On n’a pas fait ça de gaieté de coeur, mais on n’a pas le choix. Nous, on a parti le bal et naturellement, les gens vont aller chercher [des services] dans d’autres infrastructures. Si tu ne peux pas manger au restaurant dans ton village parce que les restaurants sont fermés, il y a des chances que tu essayes d’aller manger dans un village voisin. Mais nous, on voulait envoyer un message à la population à l’effet qu’il faut éviter les rassemblements et rester à la maison. »
Stress
Déjà, dans la ville de New Richmond, on sent les effets de ces nouvelles mesures et la spéculation va bon train. « De jour en jour, on entend des choses, affirme Nancy Arbour, propriétaire de deux IGA à New Richmond et à Paspébiac. Les gens viennent au magasin et ça se parle : zone rouge. Zone rouge. C’est toujours inquiétant. »
Il y a aussi le stress lié à la proximité des villes qui sont déjà en zone rouge, note-t-elle. « On constate que les gens sont stressés, ils ont peur que ça vienne chez nous aussi parce qu’on est tellement proche. Et on voit qu’ils ont tendance à acheter en surplus pour s’assurer de ne manquer de rien s’il devait y avoir un nouveau confinement. »
La femme d’affaires préférerait retourner en confinement généralisé plutôt que d’errer dans cet entre-deux. « Au printemps, on a été confinés, donc on avait plus de contrôle. Maintenant, les normes ne sont pas les mêmes, il n’y a pas de confinement, donc les gens vont quand même se déplacer et se promener. Moi, je trouve que c’est plus inquiétant. »
La Santé publique aussi s’inquiète de la propagation dans les villes voisines des zones rouges. Mais alors, pourquoi ne pas mettre toute la région en zone rouge ? « Si on confinait tout le monde, on pourrait arrêter la propagation, nous l’avons fait au printemps et on a réussi, au prix de plusieurs souffrances, répond le Dr Bonnier Viger, directeur régional de santé publique Gaspésie–Îles-de-laMadeleine. On veut essayer de ralentir et de diminuer la propagation, mais sans aller dans des mesures trop extrêmes. Si on est capable, on va éviter l’alerte maximale. »
Histoires de chasse
Dans son pick-up Colorado blanc, Camil Bujold, lui, ne semble pas trop s’en faire. Cigarette à la main, le septuagénaire va jusqu’au bout du quai et fait demi-tour. C’est sa petite sortie quotidienne. Son « spot » pour rencontrer ses amis et jaser un peu pour briser la solitude. « On fait notre social, mais dans le respect des règles ! », précise-t-il d’emblée.
Mais il n’y a personne aujourd’hui. Que le vent, la mer agitée, les nuages sur les montagnes et le bruit des derniers voiliers accostés qui cognent contre les quais de bois. « J’aimerais mieux ne pas être en zone rouge, mais c’est sûr que proches de même [des villes en zone rouge], il y a des précautions à prendre », dit-il en haussant les épaules.
Ce qui l’inquiète vraiment, c’est l’arrivée des nombreux chasseurs dans la région. « Ils sont toute la gang dans un chalet, pis quand il y en a un qui tue, on fait la fête autour de la bête pendue, pis ça se conte des histoires de comment qu’il l’a tué. Les gars ne gardent pas leurs distances, moi le premier, surtout quand on a bu un peu de boisson. »
À contrecoeur, Camil Bujold rebrousse chemin, s’apprêtant à retourner chez lui. Seul. « Tant qu’ils ne viennent pas nous fermer le quai, on va être correct. »