Macklin et Asbestos, villes minières
Le conseil municipal d’Asbestos souhaite changer le nom de la municipalité. Une liste de noms a été proposée à la population : « Larochelle », « L’Azur-desCantons », « Phénix », « TroisLacs » et « Val-des-Sources ». Il s’agira pour les citoyens de voter, du 14 au 18 octobre 2020, pour remplacer Asbestos. Ce nom nuirait aux relations commerciales, car il signifie « amiante », un minerai que l’on a trop longtemps exploité sans se soucier des conséquences néfastes sur l’humain qui le respire. La fermeture de la mine Jeffrey en 2012 a mis fin à l’exploitation minière à Asbestos. Depuis, il y a une volonté, au sein de la municipalité, de se tourner vers l’avenir.
Mais l’avenir doit-il forcément se construire dans le reniement d’une identité ?
Cette polémique toponymique exalte des débats sur les réseaux sociaux et dans les cercles de littéraires que je fréquente — n’oublions pas que la littérature est un espace privilégié où circulent les patrimoines et où s’écrit l’Histoire. Il va de soi qu’un changement de nom entraîne des appréhensions dans le milieu culturel : c’est le rapport à la tradition que l’on ébranle, d’une part, mais plus encore lorsqu’il s’agit d’une ville comme Asbestos dans notre Québec, un rapport à l’héritage politique, duquel découle l’évolution de notre société.
Je n’y étais pas en 1949, lors de la plus importante grève qu’ait connue le Québec. Un conflit de travail des mineurs d’amiante d’une rare violence, qui a représenté un tournant de notre histoire.
Mes grands-parents y étaient par contre, et je l’ai compris en reconnaissant le frère de mon grand-père dans un documentaire que mon professeur d’histoire au secondaire nous a présenté. Ce fut l’occasion pour moi d’une prise de conscience quant à l’effet de nos actions, placées dans une suite d’actions et d’idées qui nous précèdent et dont nous ne soupçonnons pas la lutte au coeur de laquelle elles palpitent.
Toute leur vie, mes grandsparents ont vécu à Asbestos. Mes parents y sont restés jusqu’à leur mariage, et j’y ai moi-même passé des moments marquants de mon enfance. Mes grands-pères et mon père ont travaillé à la mine. Mes grands-pères sont morts, en 2002 et 2011, du cancer des poumons et de la plèvre, conséquence directe de l’amiante.
L’un de mes romans, Qu’il est bon de se noyer (2016), se déroule à Asbestos. Je me permets de réfléchir à la situation économique de la région et à l’histoire de luttes qui fait d’Asbestos une ville unique. Cette histoire de luttes gagnerait d’ailleurs à être mise en valeur plutôt qu’effacée ; et cette mise en valeur, si elle passait par un investissement culturel, serait peut-être le garant de l’avenir.
Pour que le passé politique de cette ville résiste en nous apprenant l’importance de la « résistance » et de « lutter pour ses droits », je vote intimement pour qu’Asbestos conserve son nom.
De la fiction au réel
Si toutefois elle devait à tout prix être renommée, si tel est le désir de la population — le bulletin de vote donnera-t-il le droit de retenir « Asbestos » ? —, la littérature nous offre une suggestion : Macklin. Ce nom est celui de la ville minière fictive du roman Poussière sur la ville (1953), écrit par l’écrivain André Langevin (1927-2009). Un classique de la littérature québécoise, enseigné dans les cégeps et les universités., traduit en anglais en 1955 et adapté au cinéma en 1968. La critique du livre a vu en Macklin la représentation probable d’Asbestos, traçant un lien avec les conflits idéologiques qui marquaient la ville au moment de la grève de l’amiante.
Peu de romans ont installé leurs personnages à Asbestos. Certaines régions ne sont pas très visitées par le corpus littéraire québécois.
C’est pour cela et parce que Poussière sur la ville occupe une place importante dans notre tradition littéraire — en raison des enjeux sociaux qu’il met au jour — que ce livre nous tend un legs significatif. L’identité de la ville de Macklin y dépend des relations humaines, de conditions sociales fragiles et d’une population résiliente.
Dans la littérature, des noms de lieux imaginaires émergent fréquemment pour désigner des villes existantes. Ce que je trouve inspirant, à l’inverse, et qui n’arrive presque jamais — en France, Illiers a été rebaptisée Illiers-Combray en l’honneur de l’oeuvre de Marcel Proust —, c’est d’imaginer qu’une ville existante puisse emprunter le nom d’une ville fictive.
Pourquoi la littérature québécoise ne pourrait-elle pas servir de bassin d’inspiration pour actualiser la politique de désignation toponymique au Québec ? Et précisément dans le cas d’Asbestos, puisque la municipalité demande un nom symbolique, rappelant son héritage. Or, la littérature détient un héritage durable. Je trouverais ce passage, voire ce don, de la fiction au réel absolument noble, politiquement et culturellement parlant.
Macklin me réconcilierait peutêtre avec une Asbestos perdue.