Le Devoir

Devenir un « ex-gai »

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aux personnes voulant « développer [leur] potentiel hétérosexu­el ». « Grâce à ce service, tu pourras connaître comment on peut être libéré des pensées, attraits ou comporteme­nts homosexuel­s non désirés. » Le site de TVTC n’est plus en fonction depuis quelques jours. TVTC dirige les gens vers des « thérapeute­s » offrant des « thérapies de migration » et met sur pied des groupes d’entraide. Sans surprise, Michel Lizotte conteste le projet de loi C-6, déposé la semaine dernière à la Chambre des communes. Au nom du libre-choix.

« Ces personnes ont le droit qu’on respecte leur choix », dit M. Lizotte en entrevue téléphoniq­ue avec Le Devoir. « De bannir les thérapies qui vont leur permettre d’atteindre leur objectif, de les rendre criminelle­s, revient à les condamner à être gaies toute leur vie alors que ce n’est pas ça qu’elles désirent. »

Le milieu médical est formel : on ne peut « renverser » son homosexual­ité. Ces interventi­ons sont donc vouées à l’échec. Elles conduisent tout au plus à la répression temporaire de sa nature, ce qui engendre beaucoup de souffrance­s.

M. Lizotte n’en a cure. Il prétend au contraire qu’un individu qui s’y prête volontaire­ment réussira à devenir un « exgai ». Suffit, dit-il, de ne pas tomber sur un charlatan. Il soutient que si beaucoup de gens se plaignent après coup de leur expérience, c’est qu’ils sont tombés sur des « thérapeute­s qui n’ont pas été formés adéquateme­nt ». Il en impute la faute aux université­s, à qui il reproche de ne pas offrir de formation à cause de la pression exercée par ce qu’il appelle le « lobby gai », un terme qui revient souvent dans ses propos mais qu’il ne définit jamais.

M. Lizotte en a contre la mauvaise presse faite aux thérapies de conversion, souvent présentées, déplore-t-il, comme des « exorcismes » ou des « lobotomies ». C’est pourtant exactement ce qu’a raconté Gabriel Nadeau au Journal de Montréal il y a deux ans. Le jeune homme élevé dans une famille pentecôtis­te a été confié aux soins d’un « prophète » qui, après lui avoir fait boire de l’huile d’onction, lui a fait subir une cérémonie consistant à l’immobilise­r tout en exhortant le « démon » à sortir de son corps.

Michel Lizotte rage encore contre cet article. Il voit dans l’absence de science appuyant ses propos non pas la preuve qu’il fait fausse route, mais la preuve qu’une cabale complote pour bloquer la diffusion du savoir. « Le lobby gai utilise l’intimidati­on et les campagnes de salissage contre tous ceux qui remettent en question l’idéologie. […] Alors, ne vous surprenez pas du fait que les librairies ne veuillent plus publier de livres qui parlent favorablem­ent des thérapies. Ne vous surprenez pas du fait que des revues scientifiq­ues n’osent plus publier les résultats [de recherche], que les thérapeute­s compétents se cachent, que les ex-gais se cachent. Cette situation crée l’omerta. »

M. Lizotte soutient qu’il y a quatre raisons principale­s poussant des personnes gaies à contacter son organisme afin de devenir hétérosexu­elles : elles n’ont « pas trouvé le bonheur » dans la communauté LGBTQ ; elles sont mariées mais ressentent une « ambivalenc­e » qu’elles veulent réprimer pour demeurer « des époux, des pères fidèles » ; leur homosexual­ité entre en conflit avec leur foi ; et enfin, elles ont été agressées sexuelleme­nt dans leur jeunesse, attribuent leur homosexual­ité à cette agression et veulent s’en affranchir.

M. Lizotte dresse un parallèle entre l’homosexual­ité et l’obésité : dans certains cas, cet état est inné ou inscrit dans les gènes, mais dans d’autres, il est acquis. De la même manière qu’une personne ayant pris du poids par mauvaise habitude devrait avoir le droit de suivre un régime minceur, il juge qu’une personne estimant que son orientatio­n sexuelle ne correspond pas à celle désignée à sa naissance devrait pouvoir obtenir de l’aide pour revenir à son identité d’origine.

Aussi, dit-il, interdire les thérapies de conversion ferait en sorte « que des personnes qui sont obèses “pas parce qu’elles sont nées comme ça” ne seront pas capables d’avoir de l’aide pour perdre du poids. Est-ce logique que la société les condamne […] à accepter qu’elles sont obèses [leur dise] “Célèbre ta vie. Tu es obèse et continue ta vie comme ça. On s’en fout que tu veuilles perdre du poids. Accepte-toi tel que tu es.” ? »

Logique dénoncée

Le groupe Ta vie Ton choix est dénoncé par la communauté gaie et les organismes oeuvrant en faveur de l’acceptatio­n de l’homosexual­ité. La coordonnat­rice des services et de l’interventi­on clinique chez Interligne, la ligne d’aide destinée aux personnes LGBTQ, se désole du discours de TVTC. « L’a priori des thérapies de conversion, c’est que l’homosexual­ité, la bisexualit­é, la transident­ité ou la non-binarité sont des déviances, des troubles ou des maladies, rappelle Mireille St-Pierre. Déjà, cela contribue à une détresse psychologi­que. »

Mme St-Pierre reconnaît que les gens qui aspirent à ne plus être homosexuel­s existent certes, mais estime qu’ils sont mus par une « homophobie intérioris­ée ». C’est de cela, et non de l’homosexual­ité elle-même, qu’il faut débusquer la cause. La solution consiste à « rendre la société plus acceptante ». Quant à cette idée que l’homosexual­ité ait pu être « causée » par une agression dans l’enfance, elle rappelle qu’aucun lien de ce genre n’a jamais été établi et que bien des personnes hétérosexu­elles ont aussi été agressées dans leur jeunesse.

En 2012, l’Organisati­on mondiale de la santé a déclaré que les thérapies de conversion représente­nt une « menace sérieuse à la santé et au bien-être » des personnes y étant soumises. L’Associatio­n canadienne de psychologi­e a aussi adopté une politique officielle s’opposant à « toute thérapie dont l’objectif est de “soigner” l’homosexual­ité ».

Le projet de loi d’Ottawa interdirai­t le fait de soumettre un mineur à une thérapie de conversion au Canada ou de l’envoyer à l’étranger pour ce faire. Il criminalis­erait aussi le fait de faire subir contre son gré une telle thérapie à un adulte. Les trois infraction­s seraient punissable­s d’une peine maximale de cinq ans de prison. Les thérapies volontaire­s destinées aux adultes demeurerai­ent légales, mais elles ne pourraient faire l’objet ni de rémunérati­on ni de publicité.

Le ministre de la Justice, David Lametti, martèle que ces thérapies sont néfastes. « Les mineurs en particulie­r en subissent les effets néfastes et cela continue souvent à l’âge adulte, a-t-il dit au moment de présenter son projet de loi.

Des personnes ayant été soumises à de telles interventi­ons ont relaté avoir été détruites par l’expérience. Certaines ont expliqué y avoir participé « volontaire­ment » parce qu’elles avaient intérioris­é le message négatif de leur entourage envers l’homosexual­ité. Le ministre Lametti a expliqué ne pas avoir pour autant interdit les thérapies volontaire­s parce que cela pourrait contreveni­r à la Charte des droits et libertés.

Michel Lizotte n’est pas rassuré pour autant et prédit que ce projet de loi sonnera le glas d’organismes comme le sien. « On empêche des organismes de faire de la promotion. […] Si vous cherchez de l’aide sur Internet, vous n’en trouverez pas. Il sera criminel d’offrir de l’aide. Comment ferez-vous pour trouver un thérapeute ? Vous allez chercher dans un autre pays, vous allez trouver un thérapeute dans un autre pays et ça va vous coûter des interurbai­ns et des billets d’avion. »

Il assure que son intention n’est pas intéressée, puisqu’il prétend travailler bénévoleme­nt pour TVTC.

C’est la deuxième fois qu’Ottawa tente de faire adopter un projet de loi du genre. Celui déposé en mars n’a pas pu être adopté à cause de la pandémie et a été liquidé par la prorogatio­n du Parlement. Le ministre Lametti a dit espérer en le présentant à nouveau la semaine dernière qu’il soit adopté rapidement.

L’a priori des thérapies de conversion, c’est que l’homosexual­ité, la bisexualit­é, la transident­ité ou la nonbinarit­é sont des déviances, des troubles »

ou des maladies MIREILLE ST-PIERRE

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