Le Devoir

Un rare écrit de la Nouvelle-France en vente à Paris

La Relation relate essentiell­ement l’arrivée d’Alexandre de Prouville de Tracy

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Un très rare rapport de mission des jésuites en Nouvelle-France, connu d’ordinaire sous le nom de « relation », est mis en vente à Paris le 14 octobre par la maison Sotheby’s. Parmi plusieurs ouvrages qui traitent de la Nouvelle-France, on trouve ce texte où il est question de la Nouvelle-France des années 1664 et 1665.

Cette Relation relate essentiell­ement l’arrivée d’Alexandre de Prouville de Tracy. Après avoir sécurisé la traite négrière dans les Antilles et à Cayenne, il va sécuriser la traite des fourrures, en tâchant d’exterminer les Iroquois, comme lui demande de le faire un ordre royal. Nommé lieutenant-général de la Nouvelle-France, de Tracy s’installe à Québec, d’où il conçoit les moyens d’aller « porter la guerre dans les foyers iroquois ».

OEuvre du jésuite François-Joseph Le Mercier, ce récit de l’année 1664-1665 au Nouveau Monde comprend une rare carte des forts du Richelieu sur laquelle on voit distinctem­ent le chemin de Chambly. Depuis Longueuil, cette route est mise en place pour ravitaille­r ce qui constitue alors des postes avancés. Le chemin Chambly est le plus ancien au Canada.

Sur la carte de l’ouvrage apparaisse­nt les forts Saint-Louis, Sainte-Thérèse et Richelieu. Ce sont là des forts réalisés, dit le plan, « par le régiment Carignan Salières sur la rivière de Richelieu dite autrement des Iroquois en la Nouvelle-France ».

Vivre comme autrefois

Un des passages les plus étonnants de ce récit du jésuite traite « des chairs dévorées », à l’occasion d’un banquet offert par les Algonquins et les Hurons à M. de Tracy. Un Huron, parmi les anciens, vient devant celui-ci pour lui présenter des présents, lui parlant « autant de la main que de la langue », avec « véhémence et d’un ton de voix qui déclarait en même temps la douleur et la joie dont il était fait ».

Que dit-il à de Tracy ? « Tu vois à tes pieds les débris d’une grande terre, et les restes pitoyables d’un monde entier, autrefois peuplé d’une infinité d’habitants ». Désormais, « ce ne sont plus que des carcasses qui te parlent, à qui l’Iroquois n’a laissé que les os, en ayant dévoré la chair, après l’avoir grillée sur les échafauds ». Par son récit, Le Mercier entend montrer que les Hurons et les Algonquins voient dans l’arrivée des soldats de Tracy « le Soleil » capable d’« éclairer notre ancienne terre, qui depuis tant d’années est devenue couverte de nuages et de ténèbres ».

Et l’ancien continue son discours, exprimant son espoir en l’avenir : « Courage, peuple désolé ; tes os vont être liés de nerfs et de tendons, ta chair va renaître, tes forces te seront rendues, et tu vas vivre, comme autrefois tu as vécu. »

Au bout de son discours, « ce capitaine huron, disant cela, jeta aux pieds de monsieur de Tracy une peau d’orignal, façonnée et peinte à leur mode ». Qu’est-il advenu de ce message d’espoir matérialis­é sous forme d’une peau soigneusem­ent tannée et décorée ?

Précis et vivant

Au sujet de Le Mercier, l’historien Lucien Campeau, spécialist­e des relations des jésuites, observe les qualités indéniable­s de son écriture. « Son style est clair, précis, vivant, reflétant l’homme d’action et le missionnai­re zélé qu’il était. »

Bien que la version numérisée de cet ouvrage de Le Mercier soit accessible à tous en ligne, les exemplaire­s originaux comptent parmi les documents les plus rares de l’histoire d’Amérique du Nord. Les Université­s McGill et Yale en possèdent chacun un exemplaire. Toutefois, l’ouvrage de cette édition publiée à Paris en 1666 apparaît faire défaut au catalogue de Bibliothèq­ue et archives nationales du Québec (BAnQ).

François Le Mercier, fils d’un valet de chambre du roi, est certaineme­nt une des meilleures plumes à rédiger les célèbres Relations des Jésuites, à l’égal du jésuite Paul Le Jeune, dont cette vente aux enchères propose d’ailleurs aussi les écrits, de même que ceux du père Ragueneau.

Né en 1604, Le Mercier est nommé en 1665 recteur et supérieur général des missions de la Nouvelle-France, à l’occasion d’un second mandat dans ces territoire­s. Son travail donne de précieuses informatio­ns sur la vie du continent. Le Mercier finira par être nommé préfet du collège de Québec, mais il est rappelé à Paris en 1672. Il mourra à la Martinique, en 1690.

La vente chez Sotheby’s à Paris comprend aussi le manuscrit d’une expédition à Terre-Neuve faite en 1762 par De l’Isle, officier des colonies « embarqué sur la frégate La Licorne ».

Sotheby’s, la maison de vente aux enchères, estime la valeur marchande du rapport de mission de François Le Mercier, un ouvrage imprimé sur vélin souple, entre 18 000 et 22 000 euros, soit entre 28 000 $ et 34 000 $ canadiens.

Les nombreux ouvrages et objets exceptionn­els de cette vente proviennen­t de la collection de Jean-Paul Morin, ancien directeur financier du groupe français Publicis, une des trois entreprise­s les plus importante­s au monde, par le chiffre d’affaires, dans l’univers des communicat­ions et de la publicité.

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PHOTOS SOTHEBY’S François-Joseph Le Mercier, Paris, 1666. Édition originale.
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