Le Devoir

Le virus fait des ravages au sein du personnel de la santé

- ISABELLE PARÉ

Près de 17 000 travailleu­rs de la santé ont été frappés par la COVID depuis le début de la pandémie, plus de 400 ont dû être hospitalis­és et 13 y ont laissé leur vie, révèlent les plus récentes données issues du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) et de l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ).

Une enquête de l’INSPQ dévoilée mercredi soir révélait que plus 13 500 travailleu­rs du réseau de la santé avaient été victimes du coronaviru­s entre le 1er mars et le 15 juin 2020. Or, les données les plus à jour du MSSS obtenues par Le Devoir démontrent que plus de 3400 nouveaux cas d’infection ont été dépistés au sein du personnel depuis le début de l’été et sont venus alourdir ce bilan déjà peu reluisant.

Ce nouveau relevé chiffre aussi à 13 le nombre d’employés du réseau emportés par la COVID, dont 8 préposés aux bénéficiai­res, un médecin, un adjoint administra­tif, une travailleu­se sociale et deux autres employés dont le titre d’emploi reste à déterminer. L’INSPQ établit à 0,08 % le taux de décès chez les travailleu­rs de la santé et à 2,5 % la proportion de travailleu­rs qui ont dû être hospitalis­és.

Entre fin mars et fin mai 2020, plus de 1000 travailleu­rs de la santé par semaine étaient frappés par la COVID. Même si la situation est loin d’être aussi critique, la hausse actuelle des infections dans le réseau demeure préoccupan­te. Depuis octobre, environ 100 nouvelles infections sont rapportées chaque jour chez des travailleu­rs de la santé.

« Depuis septembre, plus de 2200 travailleu­rs ont été infectés à la faveur de la reprise de l’épidémie. Ce qui est difficile à dire cette fois-ci, c’est le taux de contagion lié au travail. En confinemen­t, le personnel de la santé était infecté au travail. Ça pourrait être une plus faible proportion maintenant qu’il y a beaucoup de transmissi­on communauta­ire. Il faudra poursuivre les études pour le savoir », affirme le Dr Gaston De Serres, épidémiolo­giste et chercheur à l’INSPQ.

Selon le ministère de la Santé, plus de 4350 employés étaient en retrait préventif début octobre dont 1000 employés étaient en attente de dépistage.

Chose certaine, l’enquête de l’INSPQ, menée auprès de plus de 5000 des travailleu­rs tombés malades durant la première vague, permet d’établir que ces derniers étaient 10 fois plus à risque d’être infectés que le reste de la population.

Cette enquête démontre que plus du tiers du personnel infecté était des préposés aux bénéficiai­res, 22 % des infirmière­s, 12 % des infirmière­s auxiliaire­s, 3 % des médecins et 27 % provenaien­t de catégories d’emplois diverses. Pas moins de 79 % des 5000 travailleu­rs frappés par la COVID

Pas moins de 40 % des employés infectés ont reconnu ne pas avoir toujours porté les équipement­s de protection individuel­le

ayant répondu à l’enquête étaient des femmes, âgées en moyenne de 43 ans.

Entre le mois mars et la mi-juin, pas moins de 48 % des infections ont été recensées parmi le personnel des CHSLD et 34 % dans celui du réseau hospitalie­r. Dans les hôpitaux, la moitié des infections a frappé des préposés aux bénéficiai­res et 50 % des infirmière­s. Pas moins de 10 % de l’ensemble du personnel infecté était issu de résidences privées pour aînés (RPA), là où la COVID a fauché la vie de nombreux résidents âgés, et 5 % de ressources de type familiales (RTF) ou intermédia­ires.

Ce vaste coup de sonde a aussi permis de savoir que 83 % des travailleu­rs pensent avoir été infectés sur leur lieu de travail par un patient (33 %) ou un collègue (10 %), alors que 40 % ne peuvent identifier avec certitude s’il s’agit de l’un ou de l’autre.

Chose certaine, la contaminat­ion des travailleu­rs de la santé a joué un rôle important dans la transmissi­on communauta­ire puisque les employés sondés ont affirmé avoir transmis la maladie à au moins le tiers des membres de leurs familles.

Mobilité des employés

L’étude révèle en sus que de 20 à 30 % des employés ont travaillé dans plusieurs établissem­ents, et 10 % dans plus de trois sites différents. Si les trois quarts des travailleu­rs affectés par la COVID-19 ont été en contact avec des patients infectés, près d’un sur cinq a attrapé le virus sans avoir été exposé à des unités consacrées au traitement de patients COVID. Fait troublant, l’enquête confirme aussi le rôle majeur joué par le manque de matériel de protection et les déficience­s dans les mesures de prévention des infections. Pas moins de 40 % des employés infectés ont reconnu ne pas avoir toujours porté les équipement­s de protection individuel­le (EPI), surtout en raison du manque d’équipement­s ou d’équipement­s inadaptés. Cette proportion est passée à 10 % au mois de juin. Seulement le tiers des employés ont dit avoir pu respecter la distanciat­ion physique avec leurs collègues lors de pauses ou de repas au début de la pandémie. Au mois de juin, encore 60 % des répondants estimaient ne pas toujours pouvoir être à plus de 2 mètres de leurs collègues.

« On est loin d’avoir trouvé la solution idéale pour garder les travailleu­rs indemnes de la COVID. On a identifié un paquet de déficience­s qui peuvent avoir mené à la transmissi­on. Les EPI, c’est ce qui est le plus à l’air le plus flamboyant. Mais dans la hiérarchie des mesures à prendre, ne cibler que les EPI serait vraiment manquer le bateau, il faut aussi respecter les protocoles, la distanciat­ion, le lavage des mains et toute une série de mesures », affirme le Dr De Serres.

Tout compte fait, les travailleu­rs de la santé ont compté pour 25 % des cas d’infections à la COVID au Québec, une proportion beaucoup plus élevée que celle observée notamment en Ontario (16 %), en France (18 %), en Espagne (16 %), en Italie (12 %) ou aux États-Unis (17 %).

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