Le Devoir

La pénurie d’infirmière­s fait mal à l’Outaouais plus que jamais

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

En Outaouais, la pénurie d’infirmière­s est le problème le plus criant du réseau de la santé depuis des années. Alors qu’une partie de la région entre en zone rouge, la pénurie d’infirmière­s fragilise les hôpitaux plus que jamais.

Un mois avant le confinemen­t de mars dernier, une nouvelle semait la consternat­ion dans la région de l’Outaouais. Aux prises avec une grave pénurie d’infirmière­s, l’hôpital de Shawville, dans le Pontiac, fermait son service d’obstétriqu­e pendant au moins six mois. Les futures mamans du coin allaient devoir aller accoucher à Gatineau (à 1 heure en voiture), voire en Ontario. Dix mois plus tard, le service n’a pas été rétabli.

Le manque d’infirmière­s en Outaouais est un problème récurrent, explique le député de Pontiac et leader de l’opposition officielle, André Fortin. « En temps normal, l’Outaouais est dans une position fragile, mais aujourd’hui, devant une hausse potentiell­ement rapide des cas, il y a beaucoup de gens qui se questionne­nt sur la capacité du réseau. »

Autre signal inquiétant : à la mi-septembre, les soins intensifs de l’hôpital de Gatineau ont dû fermer pendant plusieurs jours parce qu’il leur manquait deux infirmière­s. La deuxième vague n’était même pas encore commencée.

Meilleures conditions en Ontario

Pourquoi cette fragilité ? À cause de la frontière avec l’Ontario, où les salaires et les conditions de travail sont beaucoup plus attrayants. « On parle de 5 à 10 $ de l’heure de plus en Ontario », explique Patrick Guay, du Syndicat des profession­nelles en soins de l’Outaouais. « En plus, la tâche est différente : le ratio du nombre de patients par infirmière est meilleur qu’au Québec. »

Ailleurs au Québec, 90 % des diplômées en sciences infirmière­s travaillen­t dans leur région d’origine, mais en Outaouais, le taux est de 70 %.

« Au début des années 2000, elles partaient toutes vers l’hôpital Montfort [à Ottawa], qui est francophon­e, précise Patrick Guay. Aussi, dans la région, beaucoup d’infirmière­s sont bilingues et vont travailler ailleurs en Ontario. »

C’est d’ailleurs à cette époque que le temps supplément­aire obligatoir­e (TSO) a fait son apparition, relate-t-il. « Le TSO et la pénurie ont commencé en Outaouais vers 2001, 2002. »

Alors que la région entre en zone rouge, le réseau est-il prêt ? Malgré les efforts de recrutemen­t menés cet automne, il manque encore environ 300 d’infirmière­s dans la région, selon Josée Fillion, p.-d.g. du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO).

Afin d’éviter une nouvelle fermeture des soins intensifs, le CISSSO est en train de « former » des infirmière­s régulières en soins intensifs, a-t-elle répondu en marge d’une annonce mercredi.

Pour l’heure, on recense seulement neuf hospitalis­ations liées à la COVID-19, mais le syndicat signale une récente rupture de service au service d’hémodynami­que de l’hôpital de Gatineau. On est également passé proche de devoir fermer temporaire­ment les soins intensifs dans le même hôpital au cours de la fin de semaine dernière, selon M. Guay.

Du côté patronal, on concède que le défi est grand. « Je ne peux pas d’un côté dire qu’il me manque 300 infirmière­s et de l’autre affirmer qu’on peut maintenir l’équilibre », résume Robert Giard, directeur par intérim des ressources humaines au Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO).

« C’est clair : avant la pandémie, nous étions en difficulté de personnel à cause de la rareté de main-d’oeuvre. Elle s’est juste agrandie. »

Son équipe ne ménage pas les efforts, poursuit-il. « Ça complexifi­e le travail, mais j’ai confiance qu’on va toujours finir par trouver des solutions parce que notre préoccupat­ion, c’est d’offrir le service à la population. »

Constructi­on d’un mégahôpita­l

Par ailleurs, le gouverneme­nt avait de bonnes nouvelles à annoncer mercredi : la constructi­on d’un nouvel hôpital universita­ire avec 240 lits de plus pour la région, en réponse à une vieille revendicat­ion régionale. C’était en outre une promesse électorale de l’équipe de François Legault.

Il y a près d’un an, l’Assemblée nationale avait en outre adopté une motion reconnaiss­ant le « statut particulie­r » de l’Outaouais et son sous-financemen­t, notamment en santé.

Véritable éléphant dans la pièce lors de l’annonce sur l’hôpital, la pénurie d’infirmière­s a fait l’objet de nombreuses questions. Le nouvel hôpital va faciliter le recrutemen­t, ont plaidé la p.-d.g. du CISSSO et le ministre responsabl­e de la région, Mathieu Lacombe.

Or en attendant la constructi­on de l’hôpital dans des années, des solutions à court terme se font toujours attendre. « Ce n’est pas avec ça qu’on va rouvrir le service d’obstétriqu­e à l’hôpital régional du Pontiac, a réagi le député André Fortin. Tant que l’enjeu de la disparité de salaire ne sera pas réglé, ça va être difficile de retenir les infirmière­s une fois leur formation terminée. »

Le gouverneme­nt pourrait-il offrir des primes comme il l’a déjà avancé ? « On n’a pas d’annonces à faire ce matin, mais on continue à travailler sur cet enjeu-là », a répondu le ministre Lacombe.

« Le problème de la pénurie d’infirmière­s ne touche pas seulement l’Outaouais », a quant à lui plaidé son collègue à la Santé, Christian Dubé. Comme le révélait Le Devoir mardi, le ministre de la Santé table sur la négociatio­n en cours avec les syndicats d’infirmière­s pour contrer la pénurie de personnel.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Ailleurs au Québec, 90 % des diplômées en sciences infirmière­s travaillen­t dans leur région d’origine, mais en Outaouais, le taux est de 70 %.

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