Le Devoir

Deuxième vague et raz-de-marée de détresse chez les jeunes

Ni le réseau public ni le réseau privé n’arrivent à absorber la crise sanitaire en santé mentale

- Geneviève Bureau, Nathalie Gaucher et Majorie Vadnais Respective­ment travailleu­se sociale ; pédiatre urgentiste ; pédopsychi­atre

La première vague et son confinemen­t ont eu des effets dévastateu­rs sur le plan psychologi­que pour beaucoup d’enfants et d’adolescent­s. Pour n’en nommer que quelques-uns : isolement social, crises familiales, décrochage scolaire, dépression, anxiété, troubles alimentair­es, toxicomani­e… Simultaném­ent, le réseau de la santé s’est réorganisé : interrupti­on de services dans les réseaux publics et privés, rencontres repoussées, éloignées, virtualisé­es, perte d’intervenan­ts en milieux scolaire et communauta­ire, la crainte de venir à l’hôpital. En même temps, le bouleverse­ment de la vie familiale en temps de pandémie imposé aux parents les a épuisés et isolés ; leurs capacités à s’adapter et à accompagne­r leurs enfants en sont grandement affectées. Mais à ce moment, les familles étaient en « mode survie », un style adaptatif qui vient avec son lot d’adrénaline qui nous aide à garder la tête hors de l’eau. Et il y avait l’espoir d’un été plus doux, d’une trêve dans cette lutte contre ce virus invisible, mais si présent.

Avec la deuxième vague qui sera certaineme­nt longue et l’hiver qui s’en vient, attendons-nous à une forte secousse sur la santé mentale de nos jeunes, une santé déjà très fragilisée. Les

Nos jeunes sont résilients, courageux, téméraires et nous les admirons. Mais ils ont aussi leurs limites et celles-ci ont été atteintes pour un nombre grandissan­t d’entre eux.

changement­s d’habitudes, les deuils et les accommodem­ents demandés à nos enfants et à nos adolescent­s au nom de l’urgence sanitaire sont en train de se transforme­r en stress chronique, que l’on sait fortement associé à la détresse morale et aux troubles psychiatri­ques. Nos jeunes sont résilients, courageux, téméraires et nous les admirons. Mais ils ont aussi leurs limites et celles-ci ont été atteintes pour un nombre grandissan­t d’entre eux.

Depuis le début du mois de septembre, le nombre de consultati­ons à l’urgence du CHU Sainte-Justine pour de la détresse psychologi­que chez les enfants et les adolescent­s a augmenté de façon fulgurante. Les crises suicidaire­s sont fréquentes et des gestes dangereux sont posés chaque jour. Les familles craquent, « on n’est plus capables », nous disent-elles. En tant que profession­nelles de la santé présentes aux premières lignes auprès des enfants en situation de crise, nous l’avons vu et senti. Non seulement les consultati­ons augmentent, mais l’intensité de la détresse atteint des niveaux sans précédent.

Plusieurs de ces patients ou leur famille ont déjà demandé de l’aide dans leur communauté. Or, les délais pour bénéficier d’un suivi psychosoci­al peuvent maintenant atteindre jusqu’à 24 mois ! Même les ressources au privé sont saturées, car les psychologu­es au privé ne prennent plus de nouveaux patients. À cela s’ajoute l’inconfort généralisé de réaliser un suivi à travers un écran alors que ces familles ont besoin de présence afin de les aider réellement à surmonter leurs enjeux. Cette réalité nouvelle complexifi­e énormément le travail de référence puisque, force est de constater qu’en ces temps de précarité, les portes se ferment beaucoup plus qu’elles ne s’ouvrent pour notre future génération.

Notre constat : ni le réseau public ni le réseau privé n’arrivent à absorber la crise sanitaire en santé mentale à laquelle nous assistons en pédiatrie.

Nos jeunes dépendent de nous, les adultes. En tant que société, nous avons déjà fait le choix judicieux de prioriser nos jeunes en maintenant les écoles ouvertes en présence, même si la rentrée scolaire a été difficile pour plus de jeunes que d’habitude. Nous avons maintenant le devoir de continuer à défendre leurs intérêts, leur bien-être, leur futur, et de les protéger. La deuxième vague sera longue, beaucoup plus longue que 28 jours. Les mesures ajoutées cette semaine pour des jeunes qui sont peu ou pas malades de la COVID serviront-elles vraiment à réduire les hospitalis­ations et les décès dans la population âgée ? Il n’est pas si clair que le fait de couper la présence physique à l’école de moitié et d’annuler les activités parascolai­res collective­s puisse diminuer la propagatio­n du virus au sein des population­s vulnérable­s. Par contre, la structure de l’école, la richesse des contacts sociaux (avec des jeunes de leur âge) et les bénéfices du sport et de l’art sont essentiels pour éviter que cette crise ne se transforme en catastroph­e.

Oui, nous les adultes, nous la société, nous pouvons choisir d’accorder aux jeunes certains privilèges au nom de leur santé, surtout en temps de crise sanitaire. Agissons dès maintenant pour amoindrir les conséquenc­es de la pandémie sur leur santé mentale.

Maintenons nos écoles ouvertes avec présence en classe. Conservons les activités parascolai­res artistique­s et sportives. Nos jeunes en ont besoin.

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