Le Devoir

Le documentai­re Totally Under Control raconte comment Trump a transformé la pandémie en tragédie à l’américaine

Dans Totally Under Control, un documentai­re à charge, de nombreux témoins directs racontent une pandémie transformé­e en tragédie par Donald Trump

- FABIEN DEGLISE

Ce n’est pas un, mais bien des dizaines de canaris qui ont commencé à suffoquer dans la mine, fin janvier dernier, alertant ainsi que quelque chose ne tournait pas rond au royaume de Donald Trump, dans sa gestion de la pandémie de COVID-19.

Risques pas assez pris au sérieux. Mesures lentes à être mises en place. Voix politique faisant fi des constats de la science… Par une chaîne de courriels, des dizaines de scientifiq­ues et des représenta­nts de la Santé publique d’un peu partout aux États-Unis s’indignent, s’inquiètent et décident alors de se mobiliser pour tenter de faire dévier un navire amiral qui, selon eux, s’avance vers un terrible naufrage. Le groupe se baptise Red Dawn, l’aube rouge, un clin d’oeil un peu geek à un film de 1984 racontant la résistance d’un groupe de jeunes d’une petite ville du Colorado face à l’invasion russe qui vient de frapper les États-Unis. Mais le mal est déjà fait.

Quelques jours plus tôt, encore, depuis le sommet économique de Davos, en Suisse, Donald Trump rassurait pourtant le reste du monde. « La situation est totalement maîtrisée », a-t-il dit. « Ça va bien aller. » Au dernier décompte, le coronaviru­s a fait plus de 216 000 morts aux États-Unis. Le pays a enregistré 25 % des cas de contaminat­ion à l’échelle de la planète, alors qu’il ne représente que 4 % de la population mondiale.

Totalement maîtrisé ? Totally Under Control. C’est le titre donné par Alex Gibney, Ophelia Harutyunya­n et Suzanne Hillinger à un documentai­re qui vient de s’inviter dans la campagne électorale américaine, à trois semaines du scrutin, pour faire l’autopsie d’une crise sanitaire qui s’est transformé­e sous la houlette du gouverneme­nt américain en tragédie. L’anecdote du Red Dawn y est racontée. En deux heures, l’objet cinématogr­aphique donne aussi la parole à des témoins placés par l’histoire aux premières loges de cet accident au ralenti, à des voix aussi qui en vain ont cherché à se faire entendre de l’intérieur pour contenir une propagatio­n du virus contre la volonté de l’exécutif.

« C’était un cauchemar, dit l’une d’elles. On avançait à l’aveugle et on ne pouvait rien faire de plus que d’attendre. » « On est passé par la frustratio­n, la préoccupat­ion et la tristesse, ajoute une autre. Parce qu’on ne pouvait tout simplement pas faire notre travail. »

Sans compromis, Totally Under Control, disponible depuis quelques jours en location sur iTunes et Google Play, remonte donc le fil de cette catastroph­e annoncée depuis le 20 janvier dernier, et l’apparition du premier cas de COVID-19

Trump avait l’obligation de parler honnêtemen­t au peuple américain et de rassembler les forces du gouverneme­nt fédéral pour préparer une réponse. Mais il a plutôt exigé de son entourage qu’il défende sa pensée magique.

ALEX GIBNEY

aux États-Unis, pour faire apparaître les nombreuses lignes de faille dans la défense américaine. Les carences, puis les ratés en matière de tests et de dépistage en sont une. Les problèmes d’approvisio­nnement en matériel de protection en sont une autre.

Mais ce qui chapeaute l’ensemble de la défaillanc­e, c’est sans doute des agences gouverneme­ntales et des ministères qui ont été vidés de leurs expertises et de leurs talents par le gouverneme­nt américain, résume le documentai­re qui laisse ses nombreux intervenan­ts, filmés dans l’urgence et derrière des parois protégées pour respecter les règles de distanciat­ion sociale, raconter comment, depuis le premier jour de la crise, « la politique s’est mise » sournoisem­ent « dans le chemin de la science ».

Faire sortir la vérité

Épisode tragique parmi d’autres : celui de la conférence téléphoniq­ue du CDC, le 25 février, où pour la première fois, la scientifiq­ue Nancy Messonnier fait sortir la vérité sur l’urgence et le sérieux de la pandémie, résumant ce que ses collègues voient venir depuis plusieurs semaines. Elle évoque la fermeture des écoles, appelle au télétravai­l, à la fermeture des lieux de rassemblem­ent et annonce l’inéluctabl­e nouvelle normalité dans laquelle l’humanité tout entière ou presque est entrée quelques jours plus tard. Résultat ? Elle disparaît des rencontres quotidienn­es de la Santé publique. Puis, Mike Pence, vice-président, prend la direction du groupe de travail sur la COVID.

Ailleurs, c’est Max Kennedy, qui raconte son passage sur un autre groupe, dirigé par Jared Kushner, le gendre du président, pour régler les problèmes d’approvisio­nnement en matériel d’urgence et en appareil de respiratio­n artificiel­le. Un « cirque risible d’incompéten­ce », dit-il en substance avant d’ajouter avoir eu l’impression d’être « face à une administra­tion qui travaille en dehors du gouverneme­nt ».

Le coréalisat­eur, Alex Gibney, illustre l’impression en parlant d’une « riposte sclérosée amplifiée par un leadership » qui depuis ses premiers jours favorise la loyauté à la compétence. « Trump avait l’obligation de parler honnêtemen­t au peuple américain et de rassembler les forces du gouverneme­nt fédéral pour préparer une réponse », a-t-il dit au Guardian cette semaine. Mais il a plutôt exigé de son entourage qu’il défende sa pensée magique. »

C’est ce qu’a fait Mitch McConnell, leader des républicai­ns au Sénat qui a blâmé le gouverneme­nt Obama de ne pas avoir laissé de plan de match pour faire face à une telle pandémie. Faux. Des directives existaient bel et bien au sein du CDC, datant de 2019, mais personne n’a voulu les ressortir, prétextant qu’il n’y avait pas de danger immédiat, selon Robert Kaldec, sous-ministre responsabl­e de la riposte à la COVID-19.

Une crise préfigurée

Paradoxale­ment, Alex Azar, ministre de la Santé de Trump, avait sans doute préfiguré cette crise en janvier 2018, lors de son entrée en fonction. C’est un lobbyiste pour les compagnies pharmaceut­iques, fidèle du président, partisan de la minimisati­on de la crise sanitaire en cours et adepte du libre marché, seul apte à répondre aux besoins en santé des Américains, selon lui. « Nous, le gouverneme­nt, n’avons pas la solution pour la santé, a-t-il dit à l’époque dans une entrevue accordée à Fox Business, reproduite dans le documentai­re. Nous sommes généraleme­nt la cause des problèmes. »

Des problèmes qui ironiqueme­nt ont fini par rattraper le président des ÉtatsUnis : un jour après la fin du montage de ce documentai­re, Donald Trump annonçait sa contaminat­ion à la COVID19. La dernière mesure de l’opinion par CNN indique que 57 % désapprouv­ent le travail du président, c’est son plus mauvais score depuis deux ans, et sans doute une contestati­on dangereuse pour lui à quelques jours du scrutin présidenti­el, le 3 novembre prochain.

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ALEX BRANDON ASSOCIATED PRESS Le président Donald Trump et, derrière, le directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieus­es, le Dr Anthony Fauci. Parmi les lignes de faille de la défense américaine, selon le documentai­re, figurent les ratés de dépistage, puis les problèmes d’approvisio­nnement en matériel de protection.

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