Un FNC dans la tempête
Le Festival du nouveau cinéma (FNC), en selle jusqu’au 31 octobre, a subi tous les fléaux. S’offrir une édition en ligne sauf dans un ciné-parc de l’aéroport de Montréal, ça détruit des rêves de partage : « Un voyage dans le brouillard », résume son directeur général, Nicolas Girard Deltruc.
Fin août, ses projets étaient pourtant estampillés par les autorités sanitaires : une formule en partie virtuelle à la maison, soit, mais des projections à l’Impérial (grande salle où la jauge des 25 % permettait d’accueillir plusieurs spectateurs) et une soirée d’ouverture publique à la place des Festivals avec Souterrain de la Québécoise Sophie Dupuis. Ce film a pour cadre une communauté minière. Le directeur prévoyait de porter un casque de mineur pour son allocution et en offrir aux agents de circulation, comme pour dire : « On se protège. Ne baissons pas les bras. »
Badaboum ! Montréal est passé en zone jaune, orange, bientôt écarlate. Le feu vert des autorités fut obtenu à deux jours de l’ouverture pour le ciné-parc. Exit, les projections à l’Impérial. Oubliée, la place des Festivals. Du coup, certains distributeurs attachés au grand écran retirèrent une dizaine de films du FNC. Parmi eux, des titres attendus, tels les québécois Nulle trace de Simon Lavoie et La contemplation du mystère d’Alberic Aurtenèche. Sans compter Another Round de Thomas Vinterberg, The Woman Who Ran de Hong Sang-soo et autres Lux Aeterna de Gaspar Noé. 90 % de sa programmation était sauvée sur plateforme numérique ou pas. Haut les coeurs !
Des distributeurs, faute de dates de sortie pour leurs films, hésitaient à les montrer. Plusieurs Français refusaient d’aller en ligne par peur du piratage. La galère ! Il reste de beaux morceaux, dont les comédies déjantées Tout simplement noir de Jean-Pascal Zidi et John Wax, Thalasso de Guillaume Nicloux avec Houellebecq et Depardieu. De pièces de résistance : There Is no Evil de Mohammad Rasoulof sur les bourreaux du régime iranien, bien d’autres sur menu allégé.
Orphelin de tribunes prestigieuses, Souterrain allait être lancé au ciné-parc. Hélas ! le 7 octobre, jour de lancement du FNC, une tempête de 60 km/heure s’est levée : « Impossible de déployer l’écran gonflable de 40 pieds à cause du vent, déplore Nicolas Girard Deltruc. Son site sur Côtede-Liesse voisine une piste d’atterrissage de secours. Le risque de voir la structure s’envoler et frapper un avion en situation d’urgence était réel. » Bilan : une ouverture annulée. Idem pour la soirée Mad Max : The Road Warrior de samedi dernier. Autre tempête déchaînée : « On a essayé de monter l’écran. Les filins ont craqué. Il fallut de nouveau laisser tomber. Mais les projections de The Wall, de Shining et de Total Recall se sont bien déroulées les autres soirs. » Quant au film de clôture, My Salinger Year de Philippe Falardeau, il sera offert seulement en ligne.
Et l’avenir?
Dans la tourmente, le directeur s’était alloué trois missions : sécuriser ses ressources humaines, respecter l’équilibre budgétaire, soutenir l’industrie aux prises avec des productions bloquées. Il croit remporter son pari, assure que ça roule pour les ventes en ligne. Le FNC se termine dimanche. À plus tard, le bilan. Mais son irritation de voir des directeurs de rendezvous gonfler leurs chiffres de fréquentation numérique est palpable : « Ça n’aide personne. » Ses propres budgets avaient été fixés en amont, sauf ceux du volet tourisme. Des partenaires privés ont retiré leurs billes. « Dans combien d’années pourra-t-on amortir ces dépenses ? »
Autant tirer parti de l’expérience pour apprendre à naviguer. Le nouveau studio d’enregistrement de vidéoconférences constituera un acquis. La plateforme du FNC, accessible à l’échelle canadienne, atteint de nouveaux publics. Nicolas Girard Deltruc songe à y présenter des films chaque mois, à développer l’offre en région. Quand même…
L’an prochain, le Festival du nouveau cinéma célébrera son 50e et son directeur a peur. Un demi-siècle, ça se fête en grand. « Mais on parle de mutations sociales profondes. Notre édition 2021 sera sans doute encore hybride, préservant l’atmosphère festive avec propositions complémentaires en ligne. Il faudra discuter d’un plan de relance. Que faire avec le public ? On va perdre du monde. Pour l’heure, les décisions en haut lieu se prennent dans l’urgence. Une chose est certaine : il y a eu un avant puis un après-COVID. Tout est chamboulé. »
Tant d’histoires peuvent se raconter sur notre univers sens dessus dessous. Celle du FNC en est une parmi d’autres, mais fort éloquente en nos temps si troublés. Que dire ? On ne sait trop.