Le Devoir

Pour ne pas en finir avec Octobre

Sébastien Ricard parle au je de nous

- BALADO NATALIA WYSOCKA

« Qu’Octobre tienne en quelques images, toujours les mêmes, voilà qui caractéris­e la pauvreté narrative de cette crise et dévoile le caractère traumatiqu­e du souvenir. » Avec Pour en finir avec Octobre ?, Sébastien Ricard a souhaité sortir de ces images pour offrir une perspectiv­e personnell­e des événements de 1970. Pas par curiosité morbide, dit-il. Par désir de comprendre. Ce balado est réalisé par Pierre Antoine Lafon Simard et Julien Morissette, des pros du média. (Le second a notamment signé l’excellente série audio Synthèses). Au micro, Sébastien Ricard explore son lien intime à cet épisode historique. L’avenir du Québec à travers lui. Il mêle le « Je me souviens » au « Je pense, donc je suis ». À sa voix s’en superposen­t d’autres. Plein d’autres. « Je me souviens. » « Oui, je me souviens. » « Je me souviens que. »

Conçu en compagnie de Brigitte Haentjens, Pour en finir avec Octobre ? emprunte le titre de l’essai de Francis Simard, préfacé par Pierre Falardeau, et paru chez LUX en 2010. Sans point d’interrogat­ion, celui-là. Mais si point d’interrogat­ion il y a ici, c’est qu’il vient accompagné d’une question : Est-il réellement possible d’en finir ? Mais surtout : voulons-nous réellement le faire ?

Absolument pas, répond Sébastien Ricard. « En finir avec Octobre, ce serait en finir avec le Québec. Dans ses possibilit­és démocratiq­ues, dans ses possibilit­és politiques enthousias­mantes. »

Au fil d’une narration travaillée et poétique, marquée par la musique de Bernard Falaise, l’artiste décortique ce qu’il nomme « la part lumineuse » des événements. Celle qu’il dit riche et féconde. Celle qui dure, selon lui, du cinquième au quinzième jour de ce mois décisif. Celle qui se déroule « avant l’armée, la police, la prison, l’exil. Avant la mort. Avant le 16 octobre. »

C’est sur ces onze journées qu’il dit « effacées depuis de notre mémoire » qu’il a souhaité se pencher. Pour ne pas les oublier, note-t-il. Mais surtout pour « comprendre pourquoi nous tendons à les occulter systématiq­uement ».

« La lumière dont je me souviens et qui baigne ces onze journées déterminan­tes et définitive­s est un pur ravissemen­t, récite-t-il. Ravissemen­t de notre conscience politique. Une conscience rendue à elle-même et au monde au bout d’un interminab­le confinemen­t. »

En raison du confinemen­t d’ailleurs, Pour en finir avec Octobre ? est passé de spectacle à production audio. Au Diamant, où le tout devait être présenté (et où le neuvième épisode sera néanmoins enregistré), Sébastien Ricard souhaitait inviter « les gens à témoigner et [à] faire un grand cercle de parole collective ».

Le droit de dire

L’acteur militant a prévu les critiques qui pourraient lui être adressées, à lui qui a vu le jour deux ans après les faits. « Je suis né après. De quel droit en parler, alors ? » lance-t-il.

Ce droit est-il un droit qu’il s’est donné ? Qu’on a remis en question ? « Ces jours-ci, on peut entendre le balado d’Anne-Marie Dussault et de Marc Laurendeau, qui s’appelle Pour l’avoir vécu. Ils se bardent d’une double légitimité. Celle de la sacro-sainte objectivit­é journalist­ique. Puis du fait qu’eux, ils l’ont vécu. » Qu’il ne l’ait pas fait vient, d’après lui, avec « une plus grande liberté par rapport aux événements ». « Et je n’ai pas de malaise à en parler », ajoute-t-il.

Dirait-il donc que tout le monde peut le faire ? « Tout le monde qui fait l’effort de s’intéresser à cette histoire a tout à fait le droit. Ce qui est embêtant, ce sont ceux qui se prononcent à tort et à travers sans avoir fait le début du commenceme­nt d’une documentat­ion. »

Sébastien Ricard, lui, assure avoir été bien au-delà du début du commenceme­nt. « Je ne suis pas journalist­e, je ne suis pas historien, mais j’ai quand même fait mon travail. J’ai réfléchi, j’ai cherché, j’ai écrit. »

Et il l’a fait au je. Parlant des autres. Mais de lui aussi. « Ça n’engage que moi de parler de nous comme je le fais. » Le balado lui a d’ailleurs permis de mêler ces éléments. Politique, poétique, réflexion, perception. « C’est un médium qui permet de remettre en question d’énormes sujets qui ont un impact considérab­le sur nos vies personnell­es. »

Dès le premier épisode, l’artiste engagé annonce les sentiments complexes que fait naître la crise. « Elle intrigue par sa soudaineté, sa brièveté et son intensité. Elle fascine par son caractère tabou. »

« L’identifica­tion du peuple québécois avec le FLQ est absolument taboue aujourd’hui, répète-t-il. Ce caractère vient, selon moi, du traumatism­e de l’occupation militaire et de la mort de Pierre Laporte. Je ne dis pas que les felquistes n’ont pas tué Laporte. Je dis que cette mort ne peut commencer à s’expliquer que si l’on accepte de la resituer dans un contexte. Elle n’arrive pas de nulle part. Ce n’est pas suffisamme­nt dit. »

Cinquante ans plus tard, l’acteur espère « un dialogue nouveau ». « L’histoire est encore active. C’est le temps ou jamais. »

En finir avec Octobre, ce serait en finir avec le Québec. Dans ses possibilit­és démocratiq­ues, » dans ses possibilit­és politiques enthousias­mantes.

SÉBASTIEN RICARD

Pour en finir avec Octobre

Dès le 16 octobre sur le site de la Scène nationale du son et de La Fabrique culturelle

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HUBERT HAYAUD LE DEVOIR En raison du confinemen­t, Pour en finir avec Octobre ? est passé de spectacle à production audio. Au Diamant, où le tout devait être présenté, Sébastien Ricard souhaitait inviter « les gens à témoigner et [à] faire un grand cercle de parole collective ».

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