Le Devoir

L’idée d’ajouter des sièges fait son chemin à gauche

- CHARLOTTE PLANTIVE À WASHINGTON

Joe Biden n’en est « pas fan », mais refuse d’exclure une idée qui circule à gauche : créer, s’il est élu président des États-Unis, de nouveaux sièges à la Cour suprême pour contrer l’influence des juges choisis par Donald Trump.

En vertu de la Constituti­on, les sages de la haute cour sont nommés à vie par le président et confirmés par le Sénat, mais leur nombre dépend d’une simple loi. Après avoir varié pendant un siècle, il est resté à neuf depuis 1869.

Sauf surprise, la chambre haute du Congrès, où les républicai­ns sont majoritair­es, devrait bientôt donner son feu vert à la juge Amy Coney Barrett, ce qui portera à six le nombre de magistrats conservate­urs au sein du temple du droit, dont trois désignés par Donald Trump.

Faute de leviers pour empêcher une confirmati­on qu’ils jugent « illégitime » si près de l’élection du 3 novembre, les démocrates cherchent les moyens de rétablir un équilibre au sein de l’influente juridictio­n en cas de victoire dans les urnes.

« Nous devons mettre toutes les options sur la table, y compris le nombre de sièges à la Cour suprême », a ainsi jugé la benjamine du Congrès, Alexandria Ocasio-Cortez, une étoile montante de l’aile gauche du parti.

Ces appels ont immédiatem­ent suscité une levée de boucliers chez les républicai­ns. Le sénateur Mike Lee a notamment dénoncé une instrument­alisation de la Cour « à des fins politiques » et mis en garde contre le risque de surenchère. La Cour suprême « finira par ressembler au Sénat dans la Guerre des étoiles, avec des centaines de personnes sur ses bancs », a-t-il craint. « Elle y perdra toute légitimité. »

« Volé »

Les Américains semblent tout aussi frileux : 46 % sont « opposés » à la création de nouveaux sièges, et seuls 21 % favorables, selon un sondage Yougov.

Même si « c’est faux », « les Américains considèren­t la Cour comme apolitique », souligne Kevin McMahon, professeur de sciences politiques au Trinity College. « Ils ont peur que les juges deviennent des politicien­s », dit-il à l’AFP.

Les mêmes craintes expliquent, selon lui, que Franklin Roosevelt ait échoué à faire adopter une loi en ce sens, en 1937. À l’époque, le président était frustré que la Cour suprême ait invalidé son programme de grandes réformes, le « New Deal » et voulait y faire entrer des juges progressis­tes.

Mais la démocratie était en danger dans plusieurs pays et les Américains ont craint que Roosevelt ne devienne « un dictateur », rappelle l’universita­ire.

Son échec a longtemps disqualifi­é toute volonté de modifier la compositio­n de la haute juridictio­n.

Mais l’idée a refait surface à gauche après le refus, en 2016, des sénateurs républicai­ns d’auditionne­r un juge nommé par le président Barack Obama, sous prétexte que l’élection était trop proche. Les démocrates ont eu le sentiment « de s’être fait voler » un siège, explique M. McMahon.

Pendant la primaire démocrate, Joe Biden avait toutefois écarté cette option.

« Nucléaire »

La mort de la magistrate progressis­te Ruth Bader Ginsburg le 18 septembre, qui a ouvert la voie à la juge Barrett, a fait revenir cette hypothèse au premier plan. Et cette fois le rival de Donald Trump se montre très évasif.

« Je ne suis pas fan » de cette idée, « mais je ne veux pas en discuter », a-til déclaré lundi. « Le président n’attend que l’occasion de se battre » à ce sujet pour détourner l’attention de sa gestion de la pandémie, a-t-il estimé.

Son esquive a été dénoncée par le vice-président Mike Pence, pour qui « les Américains méritent une réponse claire ». Mais pour Kevin McMahon, « c’est un moyen de dire à sa gauche qu’il est prêt à jouer au dur comme les républicai­ns » et de « garder cet outil dans sa boîte ».

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