Le Devoir

Les conséquenc­es pour le Canada

L’élection de Joe Biden est préférable à celle de Donald Trump, qui perturbera­it plusieurs de nos programmes sociaux, relationne­ls et environnem­entaux

- PRÉSIDENTI­ELLE AMÉRICAINE Philippe Fournier Chargé de recherche sur les Amériques au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal

Pour le Canada, l’élection de Joe Biden à la présidence américaine est de loin préférable à un deuxième mandat de Donald Trump, dont la réélection affecterai­t ses programmes sociaux, les relations commercial­es entre les deux pays, la lutte contre les changement­s climatique­s, la relation géopolitiq­ue avec la Chine et la stabilité sociopolit­ique aux États-Unis.

Au fil des ans, le Canada a choisi de maintenir un filet social plus robuste, un système d’éducation plus accessible et un cadre réglementa­ire plus conséquent (environnem­ent, normes du travail), ce qui a notamment conduit à un niveau d’inégalités moins extrême. Ce choix explique une fiscalité plus agressive au Canada, où la taxation représente 33 % du PNB contre 24,3 % aux États-Unis (OCDE).

Les coûts de production sont donc plus élevés pour les entreprise­s canadienne­s, ce qui a pour effet de réduire leur compétitiv­ité, particuliè­rement dans les secteurs où elles sont en concurrenc­e avec des entreprise­s américaine­s. Au bout du compte, cette dynamique exerce une pression sur la fiscalité canadienne et sur le financemen­t des programmes sociaux.

Lors de son premier mandat, Trump a réduit considérab­lement les impôts des grandes entreprise­s et la réglementa­tion, ce qui a creusé l’écart davantage entre les deux pays. Tout indique qu’une victoire républicai­ne conduirait au mieux au statu quo et au pire à exacerber la situation actuelle. Rappelons que Trump a promis de nouvelles baisses d’impôts et que son budget F2021

Lors de son premier mandat, Trump a réduit les impôts des grandes entreprise­s et la réglementa­tion, ce qui a creusé l’écart entre les deux pays

prévoit des coupes importante­s dans les dépenses sociales et l’éducation.

À l’inverse, une victoire des démocrates réduirait la pression sur les programmes sociaux canadiens, tout en améliorant la compétitiv­ité des entreprise­s canadienne­s. Biden s’engage à imposer davantage les entreprise­s et les contribuab­les plus fortunés, y compris les gains en capitaux. Son programme prévoit des investisse­ments significat­ifs dans les programmes sociaux, l’éducation et la lutte contre les changement­s climatique­s.

En matière d’environnem­ent, le contraste entre Trump et Biden ne pourrait pas être plus clair. Trump nie l’existence des changement­s climatique­s et veut accélérer l’exploitati­on des énergies fossiles. De son côté, Biden promet des investisse­ments massifs dans les énergies vertes et renouvelab­les, la réintégrat­ion des États-Unis à l’Accord de Paris et la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. Si les démocrates venaient à concrétise­r leurs ambitions, les provinces canadienne­s productric­es et exportatri­ces de pétrole et de gaz seraient négativeme­nt affectées, mais une majorité de Canadiens saluerait l’engagement de son voisin en faveur des énergies propres.

Quant aux relations commercial­es, le premier mandat de Trump a été marqué par la pénible renégociat­ion de l’ALENA qui a débouché sur un nouvel accord (ACÉUM), mais aussi l’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium au nom de la sécurité nationale. Comme avec plusieurs autres partenaire­s commerciau­x, le président actuel n’a pas hésité à utiliser les menaces et le chantage pour faire avancer un programme souvent mercantili­ste. Un gouverneme­nt Biden serait plus protection­niste que sous Obama ou Clinton, mais les rapports commerciau­x seront sans doute davantage axés sur les intérêts géopolitiq­ues à long terme des deux partenaire­s.

La relation sino-américaine est un autre enjeu central de l’élection. Pour le président, la Chine est devenue le bouc émissaire pour tous les problèmes qui affligent les États-Unis, y compris la COVID-19, les pertes d’emplois manufactur­iers et le déficit commercial. Une forte majorité d’Américains a maintenant une opinion défavorabl­e de la Chine, qui frôle la xénophobie.

Face à la montée de la Chine, le gouverneme­nt américain est en voie de déclencher une nouvelle guerre froide. En utilisant le prétexte de la sécurité nationale, les États-Unis imposent des tarifs, bloquent les investisse­ments chinois sur leur territoire, financent le rapatrieme­nt d’entreprise­s américaine­s en Chine et tentent de forcer les pays qui transigent avec la Chine (y compris les alliés) à les suivre dans cette guerre économique. Ni le Canada ni les autres alliés des ÉtatsUnis n’ont avantage à s’empêtrer dans une telle dynamique.

Justice sociale

Bien qu’il affirme que les relations économique­s et politiques avec la Chine doivent changer et que des tarifs peuvent être utilisés comme moyen de pression, Joe Biden croit que ces objectifs peuvent être atteints par la négociatio­n et une réglementa­tion plus stricte, mais aussi par un accroissem­ent de la compétitiv­ité des entreprise­s américaine­s.

Enfin, pour le Canada, la crise sociopolit­ique qui secoue actuelleme­nt son voisin n’a rien de rassurant. L’extrême polarisati­on politique, l’augmentati­on des inégalités, la montée de l’extrême droite, les tensions raciales, une crise sanitaire et économique dont l’issue demeure incertaine et la perspectiv­e d’une élection contestée, pourraient plonger les États-Unis dans une longue période d’instabilit­é. Joe Biden est plus susceptibl­e d’encourager la réconcilia­tion nationale et la justice sociale, mais il fera face à des défis de taille, surtout si les démocrates n’obtiennent pas de majorité au Sénat.

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