Le Devoir

Ottawa, le responsabl­e

- ROBERT DUTRISAC

Le gouverneme­nt Trudeau a laissé se détériorer un conflit, touchant la pêche aux homards, entre les Micmacs et les pêcheurs commerciau­x dans le sudouest de la Nouvelle-Écosse. Malgré les signes avantcoure­urs et les avertissem­ents, Ottawa a regardé ailleurs jusqu’à ce que cette distante passivité devienne intenable. La semaine dernière, des pêcheurs en furie ont incendié un entrepôt de homards utilisé par des pêcheurs micmacs, saccagé un autre de leur bâtiment, vandalisé une camionnett­e et agressé un chef de bande. La semaine précédente, ce fut un bateau d’un Micmac qui fut incendié. La GRC fut critiquée pour avoir laissé la foule en colère déployer sa violence et commettre ses méfaits.

À la fin de septembre, la nation micmaque a distribué des permis à ses membres pour la pêche aux homards, bien avant le début de la saison de la pêche commercial­e en novembre, comme le veut la réglementa­tion fédérale. C’est ce qui a déclenché l’ire des pêcheurs commerciau­x qui dénoncent cette différence de traitement, une concurrenc­e déloyale, selon eux, qui menace de surcroît la ressource halieutiqu­e.

Or, les Micmacs ne font qu’exercer un droit ancestral que la Cour suprême, en vertu de deux jugements dits Marshall, a reconnu en 1999 et qui découle de traités conclus en 1760 et 1761 avec les Premières Nations micmaques et malécites, notamment. Les juges ont confirmé le droit constituti­onnel de ces nations à pratiquer une pêche de « subsistanc­e convenable ». Mais ils ont omis de définir ce qu’ils entendent exactement par cette notion.

Lundi en conférence de presse, ils étaient quatre ministres du gouverneme­nt Trudeau à déplorer cette flambée de violence. Le ministre des Services autochtone­s, Marc Miller, a accusé la GRC d’avoir laissé tomber les victimes micmaques et dénoncé ces gestes de violence « dégoûtants, inacceptab­les et de nature raciste », autre manifestat­ion, selon lui, du racisme systémique.

Bien qu’on doive déplorer cette violence et qu’on ne puisse écarter que certains pêcheurs néo-écossais éprouvent des sentiments racistes à l’endroit des Autochtone­s, il s’agit moins de racisme systémique que d’une question de gagne-pain dans une activité contingent­ée. S’il y a quelque chose de systémique, voire de systématiq­ue, c’est bien la propension du gouverneme­nt fédéral d’éluder ses responsabi­lités à l’égard des Premières Nations en évitant de régler les problèmes litigieux. Les bons sentiments déversés par un ministre paré de sa bonne conscience n’y changent rien.

Ainsi, plus de 20 ans après les décisions Marshall, Ottawa n’a toujours pas arrêté, comme la Cour suprême le lui suggérait implicitem­ent, ce qu’il faut entendre par une pêche de subsistanc­e « convenable », ni sérieuseme­nt entrepris des négociatio­ns avec les nations autochtone­s concernées pour y parvenir. Dans certains cas toutefois, il a cherché à contourner le problème en rachetant des permis de pêche commercial­e pour les céder à des pêcheurs autochtone­s.

On peut proposer diverses définition­s de cette pêche de subsistanc­e. Ne vise-t-elle strictemen­t que la quantité qu’une famille autochtone est appelée à consommer ? Peut-elle assurer des revenus pour la subsistanc­e générale de cette même famille, de la même façon que la pêche commercial­e assure la subsistanc­e de familles non autochtone­s.

Quelle que soit cette définition, il ne serait que justice que les nations autochtone­s vivant sur les côtes et qui, traditionn­ellement, ont toujours vécu de la pêche, puissent gagner leur vie honorablem­ent grâce à cette activité, tout comme les pêcheurs non autochtone­s.

Au vu de son inaction, le gouverneme­nt fédéral, qui a tendance à prendre les choses de haut, est le grand responsabl­e de cette violence qui a malheureus­ement eu cours, bien loin de lui, sur le plancher des vaches, dans une petite localité du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

Au lieu de se mêler d’un domaine qui relève de la compétence des provinces, comme la santé, en cherchant à imposer des normes fédérales, Ottawa devrait assumer convenable­ment ses responsabi­lités dans ses propres champs de compétence. Avant de faire la leçon au Québec, le gouverneme­nt Trudeau aurait intérêt à regarder dans sa propre cour. C’est lui qui a la haute main sur la pêche commercial­e en mer, c’est de lui que dépend le sort des Premières Nations dans les réserves. Qu’ils soient autochtone­s ou non autochtone­s, les pêcheurs n’ont pas à faire les frais de l’impériale nonchalanc­e du gouverneme­nt fédéral.

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