Google accusée de pratiques anticoncurrentielles
Le ministère de la Justice américain accuse le géant du Web de pratiques anticoncurrentielles
Washington s’est finalement décidé de s’attaquer aux géants du Web en engageant, mardi, des poursuites contre Google pour atteinte au droit de la concurrence.
Le ministère américain de la Justice accuse la célèbre filiale de la société Alphabet d’avoir conclu des ententes illégales avec les concepteurs de fureteurs Internet, des fabricants de téléphones intelligents et des fournisseurs de services de téléphonie mobile afin que son moteur de recherche, son système d’exploitation Android ainsi que plusieurs autres de ses applications soient offerts par défaut aux consommateurs.
Cette pratique, qui assure à celle qu’on qualifie de « gardienne de l’Internet » avec 90 % des recherches sur le Web aux États-Unis, aurait pour résultat de freiner l’entrée et le développement de concurrents dans le marché et, par le fait même, de garder captifs les utilisateurs comme les annonceurs.
Google a qualifié cette action, dans un tweet, de « profondément biaisée ». « Les gens utilisent Google par choix et non parce qu’ils sont forcés ou parce qu’ils ne peuvent pas trouver d’autres options », s’est défendu le groupe basé dans la Silicon Valley en Californie.
Le ministre américain de la Justice, William Barr, avait promis dès son entrée en poste de serrer la vis aux géants de l’Internet, au grand plaisir de son patron, le président actuel. La hâte du ministre de voir des accusations portées avant la tenue des élections du 3 novembre a même amené le départ de quelques procureurs chargés de l’affaire. Le fait que 11 États républicains se joignent à la poursuite de son ministère n’était pas, mardi, pour diminuer son apparente partisanerie.
Une méfiance grandissante à l’égard de la position dominante et des pratiques d’affaires des géants de l’Internet est toutefois l’une des rares choses que les camps républicain et démocrate ont eues en commun ces dernières années. « Ces géants qui étaient autrefois des petites start-up, remettant en question
La méfiance grandissante à l’égard de la position dominante et des pratiques d’affaires des GAFA est l’une des rares choses que républicains et démocrates ont eues en commun ces dernières années
le statu quo, sont devenus le genre de monopoles que nous n’avions pas vus depuis l’ère des barons du pétrole et des magnats des chemins de fer », ont déclaré, il y a deux semaines, les membres démocrates d’une commission de la Chambre des représentants en déposant un rapport de 450 pages au terme d’un an d’enquête durant laquelle on avait notamment vu, cet été, les patrons du GAFA (pour Google, Apple, Facebook et Amazon) convoqués et sermonnés devant le Congrès.
Changement de cap
Une première enquête sur Google des autorités fédérales américaines n’avait pas eu de suite en 2013 parce qu’on ne voyait pas comment ses services gratuits pouvaient nuire aux intérêts économiques des consommateurs ou que cette championne de la nouvelle économique pouvait être accusée de freiner l’innovation, a rappelé en entretien téléphonique au Devoir le professeur et spécialiste en droit et innovation à l’Université de Montréal, Pierre Larouche.
Depuis lors, dit l’expert, on a fini par comprendre que c’est en s’exposant à la publicité et en livrant leurs informations personnelles que les consommateurs payent leurs services. « Quant à l’innovation, on en aurait peut-être plus s’il y avait plus de concurrence. »
Aussi, plusieurs agences fédérales, commissions du Congrès et la quasitotalité des États américains se penchent aujourd’hui sur le cas de l’un ou l’autre des géants du Web.
Ils ne sont pas les seuls. En Europe, ils ont déjà fait l’objet de nombreuses poursuites et sanctions, notamment pour avoir abusé de leur position dominante. À elle seule, Google s’est vu imposer depuis trois ans pour un peu plus de 8 milliards d’euros d’amendes dans trois affaires séparées que la compagnie conteste toujours devant les tribunaux.
Forte d’une capitalisation boursière de près de 1000 milliards et d’un confortable coussin de 120 milliards en liquide, Google ne manquera pas de faire de même aux États-Unis, prévient Pierre Larouche. « On en a bien pour dix ans encore. »
Menace de démantèlement
L’affaire ne va pas sans lui rappeler la bataille épique engagée il y a plus de 20 ans par les autorités américaines et européennes contre un autre géant américain de la technologie, Microsoft.
Dans sa plainte, le ministère américain de la Justice reste vague quant à ses demandes. Il appelle cependant à des changements « structurels » chez Google, ce qui laisse envisager un possible démantèlement de certains pans de l’entreprise. « Parions que ce passage n’a pas échappé à la compagnie », dit le professeur de droit.