Le Devoir

Le dépistage du personnel en CHSLD est insuffisan­t

Le taux est aussi faible que 10 % dans certains endroits, alors que les asymptomat­iques compteraie­nt pour environ 20 % des employés infectés

- ISABELLE PARÉ

Aussi peu que 10 % du personnel de certains CHSLD se fait dépister de façon régulière pour la COVID, une des clés pour freiner l’intrusion du virus dans les milieux de vie pour aînés. Une situation qui donne du fil à retordre à certains gestionnai­res, les études démontrant que de 10 à 20 % des employés infectés sont complèteme­nt asymptomat­iques.

Alors que la transmissi­on communauta­ire reprend de la vigueur, seul un employé sur dix des CHSLD du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-Montréal se soumet présenteme­nt au dépistage hebdomadai­re recommandé depuis juillet par le ministère de la Santé et des Services sociaux pour prévenir la transmissi­on chez les aînés. Et cela, au moment où un CHSLD du secteur figure parmi ceux du Québec où 15 % des résidents sont infectés par le nouveau coronaviru­s.

D’autres CHSLD peinent aussi à convaincre leurs employés de se faire tester régulièrem­ent. Selon le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, seulement 20 % des employés des CHSLD ont été dépistés en septembre, et ce taux est passé à 30 % depuis. Ce CIUSSS, très durement frappé lors de la première vague, a même instauré un programme de récompense pour augmenter la motivation des employés à se faire tester. Chaque employé dépisté 5 fois en 5 semaines reçoit désormais 10 $ en cartes-cadeaux, et 30 $ après 10 dépistages en 12 semaines.

« Il est très sollicitan­t pour notre personnel de se faire dépister chaque semaine. Nous tenons à les encourager à maintenir les bons réflexes avec des moyens créatifs », a expliqué cette semaine une porte-parole de ce CIUSSS.

Au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de Montréal, où des éclosions frappent deux CHSLD, notamment celui des Floralies de Lachine où 15 % des résidents sont infectés, on cherche aussi à trouver des moyens de rehausser les taux faméliques de dépistage préventif. Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-Montréal, où deux CHSLD sont aux prises avec des éclosions, 40 % des employés se sont soumis à des tests de la mi-août à la mi-septembre, et 45 % en octobre. Mais le peu d’entrain des travailleu­rs à participer à ces mesures préventive­s inquiète.

« Je suis inquiet. De plus en plus de travailleu­rs de la santé, autant des médecins, des infirmière­s que des préposés baissent la garde, notamment durant les pauses. Aujourd’hui, j’étais seul pour dîner dans une salle. Cinq travailleu­rs sont entrés et restés une heure pour jaser durant le lunch avec le masque sous le menton », a confié au Devoir un médecin, de façon anynome, d’avis que les consignes et le dépistage sur les lieux de travail devraient être renforcés.

« Nos employeurs nous disent que c’est difficile mais, honnêtemen­t, je doute que des cartes-cadeaux changent quelque chose. C’est une procédure que les employés trouvent invasive. Il faudrait des tests de salive, plus rapides. Mais pour l’instant, ils ne sont pas aussi fiables que les tests par écouvillon », affirme Kathleen Bertrand,

Je suis inquiet. De plus en plus de travailleu­rs de la santé, autant des médecins, des infirmière­s que des préposés baissent la garde, notamment durant les » pauses.

UN MÉDECIN ANONYME

présidente de la FIQ–Syndicat des profession­nelles en soins du Nord-del’Île-de-Montréal, dont plus de 646 membres ont été infectés depuis le début de la pandémie.

Johanne Riendeau, présidente de la FIQ-Syndicat des profession­nelles en soins de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, reconnaît que plusieurs employés s’abstiennen­t, non pas par mauvaise foi, mais parce les prélèvemen­ts à répétition sont très irritants. « Quand ça fait 15 fois que les gens passent le test, c’est sûr qu’ils sont moins motivés », dit-elle.

Beaucoup d’asymptomat­iques

Chose certaine, le fort pourcentag­e d’employés asymptomat­iques représente un problème majeur pour prévenir les éclosions dans les systèmes de santé, ici comme ailleurs dans le monde.

Le professeur Tauland Muka, chef du groupe de recherche de l’Institut de médecine sociale et préventive (ISPM) de l’Université de Berne en Suisse, vient de publier une méta-analyse dans The American Journal of Epidemiolo­gy qui établit à 40 % la proportion d’asymptomat­iques recensée parmi 230 000 travailleu­rs de la santé de 24 pays, dans le cadre de 97 études. « Cela incluait des personnes asymptomat­iques au moment du test, qui sont tombées malades plus tard. Mais le potentiel de transmissi­on silencieus­e par ces employés et ceux qui sont totalement asymptomat­iques représente un défi énorme pour l’ensemble des systèmes de santé », a affirmé le Dr Muka, au

Devoir.

« Il faut tester davantage de façon préventive. Les tests salivaires rapides vont vraiment changer la donne pour contrôler l’épidémie », affirme-t-il. Une étude publiée dans PLOS ONE par un de ses collègues chiffre quant à elle à 20 % la part de travailleu­rs restés asymptomat­iques tout au long de leur infection.

Alain Talbot, professeur du départemen­t de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, qui a passé en revue des centaines d’études sur le sujet pour le compte de l’INSPQ, conclut lui aussi que les plus crédibles évaluent que 10 à 20 % des personnes infectées demeurent totalement asymptomat­iques.

Ce qui voudrait dire que parmi les 17 000 travailleu­rs du réseau de la santé québécois déclarés positifs à la COVID, plusieurs milliers se sont présentés au travail sans symptômes. Le professeur Talbot ajoute toutefois que le personnel asymptomat­ique serait moins contagieux que les travailleu­rs en phase « présymptom­atique », qui finissent par développer des symptômes entre deux et quatre jours après avoir été déclarés positifs. « Ce qui est clair, c’est que les asymptomat­iques semblent moins à risque de transmettr­e le virus, jusqu’à 2 à 3 fois moins que ceux qui sont en phase présymptom­atique, dit-il. Si déjà on réussissai­t à isoler les personnes présymptom­atiques, on agirait sur une grosse part de l’épidémie. »

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