Faire du mot un usage parcimonieux
La Commission des droits de la personne prône un « véritable dialogue » pour « se retrouver »
La vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), Myrlande Pierre, a fait entendre sa voix mercredi, à la demande de journalistes, dans le débat soulevé par l’emploi du mot « nègre » dans une salle de cours de l’Université d’Ottawa.
Le mot en n « ne devient pas subitement plus vertueux parce qu’il est utilisé aussi dans un contexte académique », soutient la sociologue en marge de la présentation du bilan de la mise en oeuvre des recommandations visant à éliminer le profilage racial faites par la CDPDJ en 2011. « Même dans un contexte académique, il est important [de] l’utiliser dans une perspective critique pour amener à une compréhension [et] à un certain dialogue nécessaire », souligne-t-elle.
Bourré de « violence symbolique », il doit seulement être employé dans des cas de nécessité et de façon parcimonieuse, selon Mme Pierre.
Contextualiser
Peut-on y faire référence pour comprendre l’oeuvre léguée par le poète député-maire et fondateur du mouvement littéraire de la négritude, Aimé Césaire ? illustre-t-elle. « Bien sûr qu’on peut y référer. Ça fait partie de sa démarche. Il s’agira de bien contextualiser », affirme la dirigeante de la CDPDJ, rappelant du même souffle qu’Aimé Césaire a érigé le mot « nègre » en « symbole d’affirmation et d’émancipation et [en symbole] identitaire comme réaction à l’oppression ».
Bref, à l’instar de l’historien et politologue Frantz Voltaire, Mme Pierre invite toute personne à se demander : « Est-ce vraiment nécessaire de l’utiliser pour mieux comprendre un sujet ? » « Il faut vraiment contextualiser et s’il doit être utilisé parce que c’est vraiment nécessaire, bien il faut le faire avec parcimonie », insiste-t-elle. « Les mots sont porteurs de sens. On ne peut faire abstraction du fait que ce mot [en n] a été utilisé dans certaines situations pour dénigrer, pour déshumaniser, pour humilier l’autre, pour humilier un peuple. Historiquement, c’est un fait. Et il y a irrémédiablement une charge négative et, je dirais même, une violence symbolique qui viennent avec ce mot et ça, on ne peut l’occulter. »
Myrlande Pierre plaide pour l’aménagement d’« espaces de dialogue » où de « multiples voix » s’élèvent et se mêlent, y compris celles qui ont longtemps été forcées de se taire, dans ce débat « nécessaire puisqu’il est posé actuellement ». « Il faut aussi qu’il y ait des espaces de dialogue parce que [tant] qu’on reste campé sur nos positions, il n’y a pas possibilité de se retrouver », a-t-elle fait valoir lors d’une conférence de presse virtuelle. « Nous sommes en démocratie. Il y a toujours eu dans l’histoire de l’humanité des sujets qui sont plus sensibles que d’autres. » Ici, il s’agit d’un « sujet très sensible ». « Et on le voit dans la manière dont on discute de ces questions. Ça devient en quelque part polarisant », constate la sociologue.
Des problèmes persistent
La « Commission des droits » a indiqué mercredi que la majorité des 93 recommandations pour lutter contre le profilage racial et la discrimination systémique qu’elle a faites il y a près de 10 ans a été ignorée en tout ou en partie.
De nombreux problèmes perdurent au Québec, en 2020. Parmi eux, « le problème de la surveillance ciblée des minorités racisées », observe-t-elle. Du coup, la CDPDJ exhorte le gouvernement à interdire « dès maintenant et définitivement l’ensemble des interpellations sans motifs des piétons et passagers de véhicule (street checks) sur le territoire québécois ».
« Il est plus urgent que jamais — alors que le gouvernement québécois a mis sur pied un Groupe d’action contre le racisme — de faire de la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques une priorité au Québec », rappelle le président de la Commission, Philippe-André Tessier.