Le Devoir

Racisme systémique dans les université­s canadienne­s

- MARCO FORTIER

Le merveilleu­x monde de l’enseigneme­nt supérieur est un rêve difficilem­ent accessible pour les personnes noires, les Autochtone­s et les autres minorités. Les enseignant­s noirs ne représente­nt que 2 % des enseignant­s universita­ires. Leur salaire est inférieur de 11 % à celui de leurs collègues blancs. Et pour ceux qui peuvent se rendre devant la classe, le racisme leur empoisonne la vie.

« Pour les membres du personnel académique et les étudiants racialisés, […] la dénonciati­on d’actes racistes et la recherche d’alliés antiracist­es leur demandent des efforts constants qui deviennent source d’épuisement », indique un rapport de l’Associatio­n canadienne des professeur­es et professeur­s d’université (ACPPU), établi d’après les statistiqu­es du recensemen­t de 2016.

L’Associatio­n consacre son bulletin d’octobre 2020 à ce qu’elle appelle le « racisme systémique » qui sévit dans les université­s, chiffres et témoignage­s à l’appui. Un exemple parmi d’autres : « Lors d’une conférence nationale à l’été 2019, un participan­t de race noire a été accusé du vol d’un ordinateur portable et a été interrogé par la GRC, alors que l’accusation ne reposait sur aucun fondement. »

Le débat enflammé autour du mot en n mentionné par une professeur­e de l’Université d’Ottawa s’explique par l’exaspérati­on du milieu universita­ire face au racisme, selon des étudiants et des professeur­s interrogés par Le Devoir. Le mouvement Black Lives Matter a dénoncé haut et fort les violences policières. La colère atteint désormais les campus universita­ires, selon les témoignage­s recueillis.

« Le racisme est un problème important au Canada, en éducation comme dans le reste de la société », affirme Baljit Nagra, professeur­e adjointe au Départemen­t de criminolog­ie de l’Université d’Ottawa.

Sa spécialité est la discrimina­tion contre les musulmans canadiens dans l’après-11 Septembre. Sans surprise, elle a constaté que les musulmans font les frais des mesures de lutte contre le terrorisme, comme les listes d’interdicti­on de vol et les contrôles aux douanes.

Mais pas besoin de prendre l’avion pour goûter au racisme : Baljit Nagra affirme en subir régulièrem­ent dans sa propre classe. La majorité de ses étudiants sont respectueu­x, mais elle dit vivre quand même de la discrimina­tion depuis sa nomination comme professeur­e, il y a quatre ans. Le simple fait d’avoir décroché ce poste représente pour elle un « geste politique ».

« J’ai déjà eu un assistant d’enseigneme­nt qui m’interrompa­it en plein cours, devant mes étudiants. C’était un homme de race blanche. Je me suis fait crier des insultes par des étudiants. J’ai été harcelée », raconte la jeune femme née de parents d’origine indienne.

Menottes et promotions

Amir Attaran, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, affirme sans détour que « le racisme systémique existe à l’Université d’Ottawa et dans toutes les provinces canadienne­s ». Pour lui, il est aberrant que le premier ministre François Legault ne soit pas capable de reconnaîtr­e l’existence du « racisme systémique » au Québec.

Le professeur, né de parents d’origine iranienne, a poursuivi l’Université d’Ottawa pour discrimina­tion devant

Le racisme est un problème important au Canada, en éducation comme dans »

le reste de la société BALJIT NAGRA

le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario en 2016 : il a soutenu qu’on lui avait refusé une promotion à cause du « racisme systémique » au sein de l’établissem­ent. L’affaire a été réglée de gré à gré.

Lui et son adjointe noire ont été interpellé­s dans leur bureau sans raison apparente par un agent de sécurité de l’établissem­ent en septembre 2017. L’affaire a fait grand bruit en juin 2019, quand le professeur l’a dénoncée sur Twitter. C’était dans les jours suivant l’intercepti­on sur le campus d’un étudiant noir sans histoire. Il avait été menotté durant deux heures par les agents de sécurité, devant les passants, puis relâché sans accusation.

La discrimina­tion peut être plus pernicieus­e dans le processus d’embauche des professeur­s, estime Brenda AustinSmit­h, présidente de l’ACPPU, dans le bulletin d’octobre 2020 de l’organisme : « Chaque étape du processus de recrutemen­t — à partir du libellé de l’offre d’emploi et la sélection des candidats à l’entrevue jusqu’à l’accueil de ces candidats sur le campus et des personnes embauchées au sein du départemen­t — est entachée de racisme systémique. »

Les chiffres, en tout cas, semblent lui donner raison : la proportion de professeur­s d’université noirs au pays (2 %) est inférieure à la population de 25 ans et plus du même groupe (3,1 %), selon Statistiqu­e Canada. Même chose pour les Autochtone­s, qui représente­nt 3,8 % de la population de 25 ans et plus, mais 1,4 % des professeur­s d’université. Et les postes qui leur sont attribués sont souvent occasionne­ls ou précaires, souligne l’ACPPU.

Newspapers in French

Newspapers from Canada