Le Devoir

La tendresse afropop tropicale de Clément Bazin et Pierre Kwenders

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR

Avant même d’avoir entendu ces quatre chansons originales — et leurs remix — de Pierre Kwenders et Clément Bazin, juste en lisant le titre, on sourit déjà. Cet EP s’appelle Classe Tendresse, titre un peu kitch, mais qu’est-ce que ça donne envie de l’écouter en ces temps menaçants ! Pierre rigole : « Ça fait effet, hein ? Et bon, il faut espérer plus de tendresse dans nos vies — surtout en ce moment. Le monde manque un peu de tendresse… »

Des grooves comme un vaccin contre les discours haineux : « Mon opinion sur ce qui se passe, c’est qu’on passe tous beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, abonde le musicien. On est tous devenus des médias, et y a beaucoup de confusion qui se crée dans ce brouhaha. Mais moi, j’aime bien répéter ce que d’autres ont dit avant moi : même dans le désordre, il y a des règles. Ce que certains oublient en ce moment. Et le plus important, c’est l’amour. Il faut s’aimer pour passer à travers tout ça. »

Les chansons du EP Classe Tendresse, qui devait paraître au printemps, ont été enregistré­es avant la pandémie. À cette époque où on voyageait librement, insoucieus­ement : Clément Bazin avait rencontré le manager de Pierre à Montréal, des contacts ont été établis, et c’est lorsque ce dernier était de passage à Paris qu’il a tissé des liens avec le compositeu­r électroniq­ue français recruté par le label indépendan­t Nowadays Records et accompagna­teur de scène de Woodkid.

Pourquoi lui ? Parce que, bien que leurs univers soient distincts, les deux se retrouvent dans une musique électroniq­ue contempora­ine héritée des rythmes d’Afrique. Et « à cause du steel pan », répond Pierre du tac au tac. « Je suis un grand fan de musique caribéenne », comme Bazin qui, pourtant originaire de Paris, s’est initié dès l’âge de onze ans à l’instrument emblématiq­ue de Trinidad-et-Tobago. Il en met partout dans ses production­s qui goûtent bon le soca, le calypso et la bass music et, mieux encore, l’a enseigné au Conservato­ire national supérieur de musique et de danse de Paris.

Il y a connivence entre la démarche de Bazin et l’approche de Kwenders, qui transpose les traditions rythmiques et mélodiques d’Afrique dans le cadre de la musique de club — sa manière à lui, dit Pierre, « de parler de l’Afrique, de militer pour l’Afrique : en lui rendant hommage à travers ma musique, et en rendant les gens curieux par rapport à ces sons », la rumba congolaise en filigrane de la belle Ewolo, le rythme du coupé-décalé qui cadence la chanson Ego. « En collaboran­t, ajoute Pierre Kwenders, on savait qu’on créerait quelque chose de magnifique, d’évocateur, et qui bâtira des ponts entre deux mondes différents. » Après la tendresse, une deuxième chose dont on a bien besoin : bâtir des ponts. Raffermir des liens. S’écouter et se comprendre. Il tombe à point dans l’actualité, l’EP Classe Tendresse.

À propos du mot qu’on ne cesse de potasser depuis une semaine : « Il faut aller au fond des choses, estime Pierre. Comprendre le traumatism­e qu’une personne a vécu, essayer de se mettre dans les chaussures des gens qui sont affectés par l’emploi de ce terme — ou de tout autre terme qui peut être vexant pour qui que ce soit d’autre. Il faut avoir de l’empathie : souvent, on ne pense qu’à notre bulle, à ce qu’il y a autour de nous et, même si on fait généraleme­nt de bonnes choses, on oublie qu’on peut en faire de mauvaises. On ne réfléchit pas à ce qu’on peut dire. Ce que je demande, c’est qu’on prenne le temps de s’informer — surtout plein de sujets, dont celui du moment — et ne pas se borner à dire : je ne comprends pas, c’est seulement un mot, c’est ma liberté d’expression… Le débat ne porte pas sur la liberté d’expression, mais bien sur le poids que ce mot a sur l’histoire de l’humanité. Moi-même, j’ai du mal à dire ce mot ; il a un impact très fort — pas seulement pour les personnes noires, pour tout le monde. »

J’aime bien répéter ce que d’autres ont dit avant moi : même dans le désordre, il y a des règles. Ce que certains oublient en ce moment. Et le plus important, c’est l’amour. PIERRE KWENDERS »

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 ?? FANNY VIGUIER ?? Pierre Kwenders (à gauche) et Clément Bazin : le Montréalai­s et le Parisien collaboren­t sur un premier EP d’invitantes chansons afropop tropicales.
FANNY VIGUIER Pierre Kwenders (à gauche) et Clément Bazin : le Montréalai­s et le Parisien collaboren­t sur un premier EP d’invitantes chansons afropop tropicales.

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