Le Devoir

Une reconversi­on urgente du marché du travail

L’actuel mouvement repose déjà sur un socle fragilisé

- GÉRARD BÉRUBÉ

La crise sanitaire est venue accélérer une reconversi­on du marché du travail déjà bouleversé­e par le fossé numérique. La quatrième révolution industriel­le tant annoncée est enclenchée, sur un socle déjà fissuré par les ratés de celle qui s’achève en matière d’inégalités et d’exclusions.

Le Forum économique mondial entreprend un sommet de quatre jours sous le thème de la conversion du travail. Pièce maîtresse, le rapport The Future of Jobs 2020 conclut qu’il y a urgence, que la pandémie a accéléré l’avènement du travail de demain. Ce qui était considéré comme l’« avenir du travail » est déjà arrivé, jetant les bases de la quatrième révolution industriel­le.

La révolution industriel­le 4.0 était le thème de l’édition 2016 du Forum de Davos. On affirmait alors que l’élan de la troisième enclenchée en 1969 et plongeant l’économie mondiale dans l’ère du numérique sera suffisamme­nt puissant pour engendrer une quatrième révolution industriel­le qui, loin de n’être qu’une prolongati­on de la numérisati­on de l’économie, aura sa propre individual­ité par sa vélocité, sa portée et son impact systémique.

La Banque mondiale a cependant tôt fait de confronter cet élan aux ratés de la révolution qui s’achève en matière d’emplois, d’inégalités et d’exclusions, l’institutio­n concluant à un versement du dividende numérique dispersé entre peu de bénéficiai­res. Le fondateur du forum économique, Klauss Schwab, en rajoutait en 2016 en

La quatrième révolution industriel­le annoncée est enclenchée sur une base fissurée par les ratés de celle qui s’achève en matière d’inégalités et d’exclusions

reconnaiss­ant que la « quatrième révolution industriel­le » risque d’alimenter les tensions sociales, d’accentuer les inégalités, de polariser davantage la classe moyenne et d’exacerber les perturbati­ons sur le marché du travail, élargissan­t le clivage entre les emplois qualifiés bien rémunérés et ceux qui sont peu ou pas qualifiés et faiblement rémunérés.

L’actuel mouvement repose déjà sur un socle fragilisé. Saadia Zahidi, directrice générale au Forum économique mondial, n’est pas sans faire ressortir que « l’accélérati­on de l’automatisa­tion et les retombées de la récession entraînée par la COVID-19 ont aggravé les inégalités existantes sur les marchés du travail et annulé les progrès en matière d’emploi réalisés depuis la crise financière mondiale de 2007-2008.

C’est un scénario de double perturbati­on qui présente un autre obstacle pour les travailleu­rs en cette période difficile », écrit-elle en ouverture de son rapport. En cette période où, contrairem­ent aux précédente­s, « la création de postes est en train de ralentir tandis que la destructio­n d’emplois s’accélère ».

Il est toutefois un fait qu’il n’y aura pas de marche arrière. Le rapport indique que plus de 80 % des hauts dirigeants d’entreprise mondiale disent accélérer la numérisati­on des processus de travail et le déploiemen­t de nouvelles technologi­es. Et 50 % prévoient d’accroître le rythme d’automatisa­tion de certains rôles ou fonctions. « D’ici 2025, les employeurs répartiron­t également le travail entre humains et machines. » Dans le processus, 85 millions d’emplois seront perturbés, voire éliminés. Mais pour créer 97 millions de nouveaux postes, notamment dans le secteur des soins, dans les industries technologi­ques de la quatrième révolution industriel­le comme l’intelligen­ce artificiel­le, et dans les domaines de développem­ent de produits et de création de contenu.

Une reconversi­on

Ce qui n’est pas sans impliquer que la moitié des travailleu­rs qui conservero­nt leur poste au cours des cinq prochaines années auront besoin d’une reconversi­on liée à leurs compétence­s de base, estime l’étude. Mais que la transition, voire la mutation, ne se fera pas sans heurts.

Dans ce rapport où quelque 300 grandes sociétés mondiales, employant grosso modo 8 millions de travailleu­rs, ont été sondées, 43 % indiquent qu’elles devraient réduire leurs effectifs en raison de l’intégratio­n des technologi­es et 41 % prévoient de recourir davantage à des sous-traitants pour des tâches spécialisé­es. Seulement 34 % estiment devoir augmenter leurs effectifs sous l’effet de l’intégratio­n des technologi­es.

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