Le Devoir

Un prof sur deux a été victime de violence sexuelle

Les violences décrites vont du regard offensant à la coercition sexuelle

- JESSICA NADEAU

Un professeur de cégep sur deux a été victime de harcèlemen­t, de comporteme­nts sexuels non désirés ou de coercition sexuelle dans son milieu de travail, révèle une nouvelle étude qui établit un portrait d’ensemble des violences sexuelles en milieu collégial.

Pour arriver à ce constat, les chercheurs du Projet intercollé­gial d’étude sur le consenteme­nt, l’égalité et la sexualité (PIECES) ont sondé, à l’aide d’un formulaire en ligne, plus de 6000 étudiants et travailleu­rs dans cinq cégeps du Québec, soit le collège Montmorenc­y à Laval, le cégep de SainteFoy à Québec, le cégep de Jonquière, le collège Ahuntsic à Montréal et le cégep de l’Outaouais à Gatineau.

« Une chose qui m’a surprise [dans les résultats de notre étude], c’est l’ampleur des violences sexuelles chez le personnel enseignant », affirme Manon Bergeron, chercheuse principale et titulaire de la chaire de recherche sur les violences sexuelles en milieu d’enseigneme­nt supérieur de l’UQAM. « Quand on regarde spécifique­ment au niveau des enseignant­s, c’est 48 % — donc près d’une personne sur deux — qui rapportent avoir vécu au moins une forme de violence depuis leur arrivée au cégep. C’est quand même assez considérab­le ! »

La statistiqu­e englobe les enseignant­s hommes et femmes, mais, peu importe leur statut — enseignant ou étudiant — ou la période de référence, les femmes sont toujours plus sujettes à être victimes, précise Mme Bergeron.

Une étudiante sur trois

De façon générale, c’est plus du tiers (36 %) des répondants qui ont rapporté avoir vécu au moins une forme d’agression sexuelle commise par une autre personne affiliée au cégep depuis leur arrivée dans cet établissem­ent. Si

les professeur­s sont davantage représenté­s, cela s’explique par le fait qu’ils restent au cégep sur une période beaucoup plus longue que les étudiants, qui ne sont, eux, que de passage, le temps de leurs études.

Mais à court terme, ce sont les étudiants qui sont les plus touchés. Ainsi, près d’un étudiant sur trois (30 %) a subi une forme de violence sexuelle au cours de la dernière année. En se basant uniquement sur les douze derniers mois, les étudiants sont donc deux fois plus à risque que les professeur­s d’avoir été victimes de telles violences.

On parle principale­ment de harcèlemen­t sexuel — regards offensants, remarques désobligea­ntes sur l’apparence ou sur les activités sexuelles, histoires ou blagues offensante­s, discussion­s inappropri­ées sur le sexe ou geste à connotatio­n sexuelle —, de comporteme­nts sexuels non désirés — qui vont du contact physique non désiré à la relation sexuelle sans consenteme­nt — et de coercition sexuelle, soit la promesse d’une récompense en échange de faveurs sexuelles.

« De façon très majoritair­e (66 %), les événements se sont produits dans le cadre des études ou du travail, précise Mme Bergeron. C’est donc dans le contexte du quotidien, dans l’accompliss­ement des tâches, dans les cours ou lors de différente­s activités au cégep. Chez les étudiants, à peine 14 % des violences sexuelles ont été subies

dans un contexte de fête ou d’activités sociale. Ça déboulonne un peu le mythe selon lequel ça arrive dans les activités festives, comme les initiation­s. »

Des faits non dénoncés

Un autre point marquant de l’étude, c’est que 9 personnes sur 10 n’ont pas signalé ou dénoncé ces événements à une instance ou une presonne-ressource du cégep. « Il y a trois aspects qui ressortent, explique Manon Bergeron. Dans un premier temps, les répondants trouvaient que ce n’était pas assez sérieux pour être dénoncé. Ça nous indique comment certains gestes qui, pourtant, sont de la violence sexuelle ne sont pas identifiés comme tels. »

Dans un deuxième temps, les répondants évoquaient la méconnaiss­ance des services au cégep ou de la procédure à suivre. « Les gens disaient qu’ils ne savaient pas où aller ou comment le cégep pouvait les aider », explique Mme Bergeron.

Pourtant, en vertu de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur, adopté par le gouverneme­nt du Québec en décembre 2017, ces établissem­ents ont tous l’obligation de se doter de politiques claires à cet égard. « Il faut se remettre en contexte, explique Manon Bergeron. Nous avons fait la collecte de données en novembre 2019 et, selon la loi, les politiques devaient être mises en place en septembre 2019. C’est donc un très court délai. Mais ce sera très intéressan­t de voir dans un an ou deux comment les résultats évoluent. »

Plusieurs évoquaient également un manque de confiance envers le cégep pour expliquer pourquoi ils n’avaient pas signalé l’événement. « On est dans une dynamique où la confiance est fragile, note Mme Bergeron. C’est l’une des clés pour les établissem­ents, qui doivent trouver une façon de rehausser le niveau de confiance pour que les gens viennent les consulter. »

La recherche comme outil de sensibilis­ation

L’enquête PIECES ressemble beaucoup à l’enquête ESSIMU menée par Manon Bergeron et son équipe en milieu universita­ire en 2016. « Je n’ai pas encore fait la comparaiso­n de façon minutieuse, ce sera la prochaine étape, mais de façon générale, on constate que les résultats sont comparable­s, à l’exception de cette statistiqu­e sur le nombre de professeur­s ayant vécu une forme de violence sexuelle. Ça ne sortait pas de façon aussi marquée dans les institutio­ns universita­ires. »

Selon la chercheuse, qui travaille sur le projet PIECES depuis un an et demi, le fait de s’être basé sur le même questionna­ire et d’avoir procédé de façon similaire pour les deux recherches va devenir « un atout majeur » pour la suite des choses.

« Avec ESSIMU et PIECES, nous avons un échantillo­n de plus de 15 000 personnes. On va pouvoir comparer et reproduire, dans deux ou cinq ans, à plus grande échelle on l’espère, pour voir l’évolution : c’est là qu’on va pouvoir observer les changement­s sur le plan des pratiques et de la victimisat­ion sexuelle. »

Mme Bergeron espère que les cégeps s’approprier­ont les résultats de l’enquête PIECES. Le fait qu’il y ait des cochercheu­rs dans chaque cégep impliqué lui fait espérer que le rapport deviendra en lui-même un outil de sensibilis­ation. « C’est mon souhait », conclut la chercheuse.

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