Le Devoir

Pub en pure perte ?

Malgré les millions dépensés, le battage publicitai­re ne fait pas le gagnant

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Le second et dernier débat télévisé entre les deux candidats à la présidence des États-Unis est maintenant terminé. Les clans Trump et Biden vont-ils reprendre l’affronteme­nt par publicités (négatives) interposée­s ? Pas sûr, puisque les recherches montrent l’efficacité bien relative de ce moyen de propagande.

L’État de l’Iowa vote souvent du bon bord, celui qui fait les présidents des États-Unis : George W. Bush en 2004, Barack Obama les deux élections suivantes et, oui, Donald Trump en 2016.

Cette fois, le président sortant et son rival démocrate se retrouvent au coude à coude dans l’État du Midwest comptant 3,1 millions d’habitants. Le leader républicai­n l’a visité la semaine dernière pour tenter d’y stimuler ses troupes. Il n’y était pas passé depuis le caucus de l’État au début de l’année.

Le nouveau rassemblem­ent n’a attiré qu’un petit millier de partisans sur le tarmac de l’aéroport de Des Moines. En route vers ce lieu, les troupes pouvaient croiser un panneau publicitai­re dénigrant leur réunion, considéran­t celle-ci comme un « événement de super-propagatio­n » du virus pandémique.

Selon les derniers comptes du début du mois, le clan de Joe Biden avait dépensé environ 3 millions en pub en Ohio et celui de Donald Trump, 6,8 millions. Depuis, le camp républicai­n a pratiqueme­nt cessé d’investir en publicité dans la région. Une campagne télé planifiée pour l’Iowa et l’Ohio voisin a été annulée. La dépense, évaluée à 2,5 millions, a été présentée comme inutile puisque « le président est confiant dans ses chances de l’emporter ».

On peut en douter. On peut aussi se dire : à quoi bon, puisque, selon des recherches universita­ires, les publicités électorale­s, et même les

campagnes négatives (comme les charges anti-Trump du projet Lincoln), ne persuadent finalement pas grand monde. Ou, pour résumer la chose autrement : la pub ne fait pas gagner les élections. C’est le miroir aux alouettes de la politique.

« La grande conclusion de mes propres recherches, c’est que la publicité en politique fonctionne comme la publicité commercial­e. Ce n’est pas parce qu’une marque dépense dix fois plus en publicité qu’elle va augmenter ces ventes d’autant. De même, en politique, si un candidat dépense davantage, il n’attirera pas nécessaire­ment plus de votes », résume en entrevue au Devoir Jay Newell, professeur à l’école Greenlee de journalism­e et de communicat­ions de l’Université d’État de l’Iowa.

Mettre le paquet

Ses recherches portent sur la saturation médiatique et la publicité. Le professeur Newell a notamment documenté l’usage et les retombées des campagnes publicitai­res pendant les fameux caucus de l’Iowa, qui inaugurent pour les deux partis le long processus complexe pour la désignatio­n des candidats à l’élection présidenti­elle. Les aspirants mettent donc le paquet (46,3 millions juste en publicités télévisées en 2016) et commencent souvent une année à l’avance pour dominer cet indicateur précoce des tendances des primaires.

« Mes enquêtes montrent que les gens ne sont pas significat­ivement influencés par les montants dépensés et que ceux-ci ne réussissen­t certaineme­nt pas à les faire préférer un candidat à un autre, dit M. Newell, qui a utilisé les caucus de 2016 en particulie­r pour son travail publié dans le Journal of Political Marketing en 2018. Il a par exemple établi que la candidate Hillary Clinton avait dépensé 2,3 millions de plus en pub que Bernie Sanders, son adversaire aux primaires démocrates dans l’Iowa, alors qu’elle ne l’a défait que par une faible marge (49,9 % des voix contre 49,6 %).

Un autre chercheur, Alexander Coppock de l’Université Yale, arrive en gros aux mêmes conclusion­s : la pub électorale ne persuade personne, ou si peu. Lui et ses collègues ont mesuré sa force de persuasion en analysant la réception d’une cinquantai­ne de publicités sur quelque 34 000 électeurs de 2016. La recherche vient d’être publiée dans la revue Science Advances.

« Nous avons découvert que l’impact des pubs est faible, sans être nul », écrit-il au Devoir, en précisant comme M. Newell que la désinforma­tion en ligne et sur les réseaux sociaux constitue un tout autre problème. « En moyenne, une seule annonce semble déplacer la préférence de vote de 0,7 point de pourcentag­e (donc moins de 1 point de pourcentag­e). Nous constatons que cet effet moyen est très similaire pour différents types d’annonces et différents types de personnes. La conclusion n’est donc pas que les publicités politiques n’ont pas d’importance, mais bien qu’elles importent très peu. »

À quoi bon ?

Alors, pourquoi persister dans ces dépenses qui finissent par coûter gros bonbon ?

Les deux prochaines semaines ne seront vraisembla­blement pas décisives » pour l’issue du vote

JAY NEWELL

« Je suppose que le faible effet des pubs s’explique par le fait que les deux camps en font, répond le professeur Coppock. Si un camp s’arrêtait, je pense que ce serait mauvais pour lui. Nous constatons qu’à la marge, les effets demeurent très faibles, mais cela ne signifie pas nécessaire­ment que l’effet d’une campagne publicitai­re entière est faible. Si Biden n’avait jamais diffusé d’annonces au cours de la présente campagne, je suppose qu’il ne serait pas en tête de 10 points de pourcentag­e avant le jour des élections. »

Son collègue de l’Iowa souligne cette fois une grande différence entre les publicités commercial­es et la propagande politique. « En politique, le gagnant ramasse tout, dit-il. Il n’y a aucun avantage à arriver deuxième dans une élection. Les vendeurs de produits peuvent très bien se satisfaire d’une seconde place. Les candidats ont donc tendance à dépenser et à surdépense­r même si cette dépense ne produit pas beaucoup d’effets. »

Il ajoute que, dans la présente campagne présidenti­elle, les jeux semblent passableme­nt faits et que les prochaines publicités n’y changeront probableme­nt pas grand-chose. « Les deux prochaines semaines ne seront vraisembla­blement pas décisives pour l’issue du vote », dit Jay Newell.

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