Un air de déjà-vu
Quand il a présenté en août dernier son plan d’action pour affronter une deuxième vague de COVID-19, Christian Dubé avait fait son mea culpa au nom du gouvernement Legault. Le ministre de la Santé et des Services sociaux avait reconnu les lacunes conduisant à l’hécatombe qui avait causé près de 4000 décès dans les CHSLD, soit près de 10 % de leurs résidents. Battant sa coulpe, le ministre avait dévoilé une longue liste de dysfonctionnements, dont la mobilité du personnel soignant d’un CHSLD à un autre et un dépistage inefficace dans les établissements eux-mêmes.
Avec son plan d’action, les choses allaient changer pour la deuxième vague, avait-il promis. Le ministre s’était engagé à abolir les déplacements du personnel, sauf pour les infirmières, dont la mobilité serait maintenue « au minimum », sans qu’on sache ce que ce minimum représente par rapport à la situation qui prévalait au printemps. À cause de leur rareté, nombre d’infirmières doivent continuer à travailler dans plus d’un CHSLD afin que les personnes âgées ne subissent pas de « rupture » de soins. De strictes mesures de prévention et de contrôle des infections seraient toutefois en place, ce qui faisait cruellement défaut au printemps, et un dépistage efficace de la COVID-19 y serait effectué, prévoyait-on. Pour des raisons évidentes, la priorité des priorités en matière de dépistage visait le personnel soignant en contact les personnes âgées vulnérables, qu’il s’agisse des préposées aux bénéficiaires ou des infirmières.
Or, Le Devoir nous apprend que, dans plusieurs CHSLD, aussi peu que 10 % du personnel se soumet à un dépistage hebdomadaire pour la COVID-19, ce que recommande depuis juillet le ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans d’autres CHSLD, les taux s’élèvent à 20 % ou 30 %, ce qui est bien peu compte tenu du fait que les employés infectés peuvent transmettre la maladie tout en étant asymptomatiques. Même dans des CHSLD qui connaissent des éclosions, seulement 40 % ou 45 % du personnel s’est fait tester.
À l’Assemblée nationale, Christian Dubé a révélé que, même si un CHSLD était aux prises avec une éclosion, il revenait à chacun de ses employés d’accepter ou non de subir un test. C’est « une décision personnelle », a dit le ministre, qui s’est montré compréhensif. « Ils sont un peu tannés », a-t-il avancé. « Alors, c’est sur une base volontaire. »
Ainsi, il n’existe aucun protocole qui obligerait dans certaines circonstances le personnel qui côtoie des personnes âgées vulnérables de subir un test de dépistage, ce qui semble s’appliquer aussi, s’il en faut croire le ministre, aux infirmières volantes qui se promènent d’un CHSLD à l’autre. Une telle insouciance met à risque les résidents. « C’est une question de vie ou de mort », pourrait dire François Legault.
Jeudi, le Collectif Action COVID, qui regroupe divers organismes et associations ainsi que le Collège des médecins et l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, disait craindre qu’une nouvelle hécatombe frappe les CHSLD. Citant une récente étude canadienne, le porte-parole du collectif, le Dr Réjean Hébert, cet ancien ministre de la Santé dans l’éphémère gouvernement Marois et actuellement professeur en gestion de la santé publique à l’Université de Montréal, a souligné que la mobilité de la main-d’oeuvre avait joué un rôle central dans l’« âgicide » qu’a connu le Québec lors de la première vague de la pandémie. La Colombie-Britannique, qui a interdit formellement au personnel de travailler dans plus d’un établissement de soins de longue durée, n’a vu décéder que 0,6 % des résidents, contre 2,3 % en Ontario (presque que 4 fois plus), qui n’avait pas décrété pareille interdiction, et 10 % (ou 17 fois plus) au Québec, comme nous l’avons vu.
À l’heure actuelle, les éclosions dans les CHSLD touchent 320 résidents dans 40 sites contre 2700 personnes dans une centaine d’établissements au plus fort de la pandémie ce printemps. Toutes les récentes propagations sont maîtrisées, sauf six. Dans ces cas critiques, des équipes de choc furent dépêchées. De semblables interventions auraient permis de venir à bout des éclosions.
Quelle que soit son ampleur, toute propagation du coronavirus dans un CHSLD entraîne des décès. Or, on sait que certaines pratiques douteuses, notamment les mouvements de personnel et le recours à du personnel d’agence, favorisent les éclosions. La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent, disait Albert Einstein.
La situation est maîtrisée, soutient le ministre. On aimerait bien le croire, tout en lui rappelant que mieux vaut prévenir que de voir mourir.
La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent, disait Albert Einstein