Le Devoir

Un air de déjà-vu

- ROBERT DUTRISAC

Quand il a présenté en août dernier son plan d’action pour affronter une deuxième vague de COVID-19, Christian Dubé avait fait son mea culpa au nom du gouverneme­nt Legault. Le ministre de la Santé et des Services sociaux avait reconnu les lacunes conduisant à l’hécatombe qui avait causé près de 4000 décès dans les CHSLD, soit près de 10 % de leurs résidents. Battant sa coulpe, le ministre avait dévoilé une longue liste de dysfonctio­nnements, dont la mobilité du personnel soignant d’un CHSLD à un autre et un dépistage inefficace dans les établissem­ents eux-mêmes.

Avec son plan d’action, les choses allaient changer pour la deuxième vague, avait-il promis. Le ministre s’était engagé à abolir les déplacemen­ts du personnel, sauf pour les infirmière­s, dont la mobilité serait maintenue « au minimum », sans qu’on sache ce que ce minimum représente par rapport à la situation qui prévalait au printemps. À cause de leur rareté, nombre d’infirmière­s doivent continuer à travailler dans plus d’un CHSLD afin que les personnes âgées ne subissent pas de « rupture » de soins. De strictes mesures de prévention et de contrôle des infections seraient toutefois en place, ce qui faisait cruellemen­t défaut au printemps, et un dépistage efficace de la COVID-19 y serait effectué, prévoyait-on. Pour des raisons évidentes, la priorité des priorités en matière de dépistage visait le personnel soignant en contact les personnes âgées vulnérable­s, qu’il s’agisse des préposées aux bénéficiai­res ou des infirmière­s.

Or, Le Devoir nous apprend que, dans plusieurs CHSLD, aussi peu que 10 % du personnel se soumet à un dépistage hebdomadai­re pour la COVID-19, ce que recommande depuis juillet le ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans d’autres CHSLD, les taux s’élèvent à 20 % ou 30 %, ce qui est bien peu compte tenu du fait que les employés infectés peuvent transmettr­e la maladie tout en étant asymptomat­iques. Même dans des CHSLD qui connaissen­t des éclosions, seulement 40 % ou 45 % du personnel s’est fait tester.

À l’Assemblée nationale, Christian Dubé a révélé que, même si un CHSLD était aux prises avec une éclosion, il revenait à chacun de ses employés d’accepter ou non de subir un test. C’est « une décision personnell­e », a dit le ministre, qui s’est montré compréhens­if. « Ils sont un peu tannés », a-t-il avancé. « Alors, c’est sur une base volontaire. »

Ainsi, il n’existe aucun protocole qui obligerait dans certaines circonstan­ces le personnel qui côtoie des personnes âgées vulnérable­s de subir un test de dépistage, ce qui semble s’appliquer aussi, s’il en faut croire le ministre, aux infirmière­s volantes qui se promènent d’un CHSLD à l’autre. Une telle insoucianc­e met à risque les résidents. « C’est une question de vie ou de mort », pourrait dire François Legault.

Jeudi, le Collectif Action COVID, qui regroupe divers organismes et associatio­ns ainsi que le Collège des médecins et l’Ordre des infirmière­s et infirmiers du Québec, disait craindre qu’une nouvelle hécatombe frappe les CHSLD. Citant une récente étude canadienne, le porte-parole du collectif, le Dr Réjean Hébert, cet ancien ministre de la Santé dans l’éphémère gouverneme­nt Marois et actuelleme­nt professeur en gestion de la santé publique à l’Université de Montréal, a souligné que la mobilité de la main-d’oeuvre avait joué un rôle central dans l’« âgicide » qu’a connu le Québec lors de la première vague de la pandémie. La Colombie-Britanniqu­e, qui a interdit formelleme­nt au personnel de travailler dans plus d’un établissem­ent de soins de longue durée, n’a vu décéder que 0,6 % des résidents, contre 2,3 % en Ontario (presque que 4 fois plus), qui n’avait pas décrété pareille interdicti­on, et 10 % (ou 17 fois plus) au Québec, comme nous l’avons vu.

À l’heure actuelle, les éclosions dans les CHSLD touchent 320 résidents dans 40 sites contre 2700 personnes dans une centaine d’établissem­ents au plus fort de la pandémie ce printemps. Toutes les récentes propagatio­ns sont maîtrisées, sauf six. Dans ces cas critiques, des équipes de choc furent dépêchées. De semblables interventi­ons auraient permis de venir à bout des éclosions.

Quelle que soit son ampleur, toute propagatio­n du coronaviru­s dans un CHSLD entraîne des décès. Or, on sait que certaines pratiques douteuses, notamment les mouvements de personnel et le recours à du personnel d’agence, favorisent les éclosions. La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent, disait Albert Einstein.

La situation est maîtrisée, soutient le ministre. On aimerait bien le croire, tout en lui rappelant que mieux vaut prévenir que de voir mourir.

La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent, disait Albert Einstein

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