Une culture autre
Suite à « Les maux et les mots », texte signé par Louise Arbour, Le Devoir, le jeudi 22 octobre 2020.
Votre article est un modèle de « savoir » penser une question aussi difficile à aborder sans conflit et qui s’est formée autour des mots liés et marqués par le racisme. J’admire votre esprit de synthèse qui permet de clarifier les nuances apportées entre les opinions et les idées divergentes qui se confrontent et s’affrontent dans ce présent débat autour du mot « nègre ». Mais différemment de vous, je ne qualifie pas de nombrilisme ceux et celles qui, au Québec surtout, voient un lien étroit, sinon d’identification, entre la culture des Américains et celle des Canadiens anglophones et rappeler une différence marquée avec celles des Québécois de culture française.
La société américaine tout entière, en lien avec les inégalités sociales qui y sévissent, a vécu et vit toujours des problèmes aigus de ségrégation raciale qui, à travers le temps puis de récents événements la ravivent : les sensibilités sont de plus en plus exacerbées et certains mots, termes ou phrases pour nommer l’horreur, prennent valeur de symboles.
Pour autant, bien que les Québécois soient également des Nord-Américains, ils ne sont pas de culture anglophone, même si la culture des Québécois francophones en est même de plus en plus teintée, surtout par le biais des médias sociaux. Nous n’avons ni le passé odieux de la société américaine en matière de racisme contre les Noirs, ni la culture qui s’y est modelée. « Nègre » en français n’est pas sous-tendu des horreurs que sous-tend le mot « nigger ». Pourtant, la culture francophone au Québec n’est ni étanche ni imperméable au foisonnement des idées à l’échelle mondiale — elle a droit tout autant que celle des Nord-Américains de langue anglaise ou américaine à ce qu’on en reconnaisse la nature différente, la langue autre et la façon particulière de penser le monde. Reconnaître cela permettrait déjà une réelle ouverture entre la culture dominante anglophone et celle, de plus en plus grugée du dedans et du dehors, d’une culture francophone tout aussi nord-américaine. Rose Marie Arbour, historienne de l’art
Montréal, le 22 octobre 2020