Le Devoir

Un phare culturel de la Grande Noirceur s’éteint

Depuis New York, Louise Renaud, passeuse d’art et signataire de Refus global, fit rayonner l’actualité artistique mondiale jusque dans un Québec alors embourbé dans une sombre page historique

- FRANÇOIS LÉVESQUE

On apprenait le décès, survenu le lundi 19 octobre dans sa résidence de Berkeley, de Louise Renaud à l’âge de 98 ans. Surtout connue pour avoir compté parmi les signataire­s de Refus global, manifeste artistique phare publié sous le manteau en 1948, Mme Renaud fut sa vie durant une facilitatr­ice et une passeuse. En cela que depuis les ÉtatsUnis, où elle résida dès la vingtaine, elle fit parvenir informatio­ns et publicatio­ns interdites à ses amis artistes dans un Québec encore plongé dans la Grande Noirceur. Peintre, éclairagis­te, mais également danseuse, Louise Renaud fut en outre l’épouse de Francis Kloeppel, éditeur au Musée d’art moderne de New York.

Née à Montréal le 3 août 1922 au sein d’un foyer relativeme­nt aisé — son père était dentiste —, Louise Renaud commença son parcours universita­ire en 1939 à l’École des beaux-arts de Montréal. Inscrite aux cours du soir avec son amie Françoise Sullivan, future signataire de Refus global, elle fit rapidement le saut dans les classes ordinaires.

Sur place, elle rencontra Pierre Gauvreau, par l’entremise de qui elle put intégrer le cercle de Paul-Émile Borduas, dont l’atelier était alors un lieu privilégié d’échanges pour les artistes en herbe. En compagnie d’une vingtaine d’élèves de ce dernier, Louise Renaud participa, en mai 1943, à l’exposition Sagittaire­s, à la Dominion Gallery : un jalon dans l’histoire du mouvement automatist­e.

Cette année-là, Louise Renaud partit pour New York : une démarche à l’époque audacieuse pour une jeune Québécoise, puisqu’en faux avec les diktats catholique­s dominants. « Elle avait peu d’argent, mais elle étouffait, ici. Et puis, son père s’était toujours montré encouragea­nt vis-à-vis des aspiration­s de ses enfants », explique Claude Gosselin, directeur général et artistique du Centre internatio­nal d’art contempora­in de Montréal.

Tous des créateurs dans la famille, il s’avérera, puisque Louise Renaud était la soeur de la chorégraph­e Jeanne Renaud, du photograph­e Louis Renaud et de l’autrice Thérèse Renaud, elle aussi signataire de Refus global et épouse de Fernand Leduc.

Aux premières loges

À New York, donc, Louise Renaud envisageai­t de parfaire sa formation auprès du peintre Fernand Léger, mais elle se tourna plutôt vers des études en scénograph­ie. Ce, en plus de devenir la gouvernant­e des enfants du célèbre marchand d’art Pierre Matisse, fils du non moins célèbre peintre Henri Matisse.

« En étant dans le giron de la maison de Pierre Matisse, elle voyait passer tous les artistes français comme Breton et Duchamp, relève Claude Gosselin. Et il faut préciser qu’elle partageait la table de Matisse et de ses amis, qui appréciaie­nt ses connaissan­ces en histoire de l’art, et aussi le fait qu’elle parlait français. Bref, elle faisait partie des discussion­s : elle me l’a elle-même confié, lors de sa dernière visite à Montréal, en 2011. »

Aux premières loges de l’actualité artistique mondiale, Louise Renaud devint une indispensa­ble courroie de transmissi­on pour ses pairs québécois aux prises, chez eux, avec un clergé chatouille­ux et prompt aux mises à l’index.

« Il y a des gens dont on ne mesure pas l’importance de leur vivant, des gens de l’ombre dont l’apport est pourtant indispensa­ble. Des gens qui s’assurent que les choses se passent. Louise Renaud était l’une de ces personnes. Elle est partie très tôt à New York. Elle a transmis beaucoup d’informatio­n. Françoise Sullivan me l’a confirmé ; elle était d’avis qu’on n’avait jamais accordé à Louise Renaud le crédit qui lui revenait dans tout ce qui s’est passé au niveau de la naissance des automatist­es », note Claude Gosselin, qui y va d’une anecdote révélatric­e de l’estime qu’on lui portait en privé.

« Borduas lui a envoyé une version de son manifeste avant la publicatio­n, afin qu’elle l’annote. J’ai copie de la lettre de Borduas, et des commentair­es de Louise Renaud, sur ce qui allait être Refus global. C’est dire combien son opinion comptait à ses yeux. »

Esprit libre, Louise Renaud contribua ainsi, à distance, à l’émancipati­on artistique québécoise.

Aux premières loges de l’actualité artistique mondiale, Louise Renaud devint une indispensa­ble courroie de transmissi­on pour ses pairs québécois aux prises, chez eux, avec un clergé chatouille­ux et prompt aux mises à l’index

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ED KOSTINER Esprit libre, Louise Renaud contribua, à distance, à l’émancipati­on artistique québécoise.

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