L’inspiration comme moteur de bonheur
Il arrive parfois qu’un vin inspire. Qu’il vous porte à un autre niveau. Qu’il vous aspire. Comme si l’on devenait le récepteur de quelque chose qui nous dépasse. Et le transmetteur de quelque chose qui passe sans que celui-ci soit totalement élucidé ou déchiffré. Un bien beau moment. Mais aussi un moment qui illustre bien que l’on se situe justement dans le… moment. Un privilège rare. Cela vous est-il arrivé dernièrement ?
Il faut, pour ce faire, des dispositions, une ouverture, une appétence pour l’inconnu. Un lâcher-prise inversement proportionnel aux vertiges anticipés. On ne peut cependant prévoir la chose. Elle sera, de plus perçue différemment selon les « antennes » de chacun, nos références, sensibilités et expériences demeurant aussi variables qu’il existe de situations propres à être littéralement happé par cette fée imprévisible qu’est l’inspiration. Qu’elle vienne d’une partition musicale, littéraire, artistique ou autre. Alors, qu’est-ce qui provoque ce fameux déclic qui fait qu’un vin vous inspire, et qu’il devienne alors un véritable moteur de bonheur ?
J’avoue ne pas en avoir la moindre idée. Mon compte Instagram ignore luimême pourquoi il y a si peu de candidats inspirants cités et partagés sur sa tribune. Je soupçonne cependant que, pour qu’un vin inspire, des conditions gagnantes doivent être réunies. Mon constat : si, en amont, le vigneron est inspiré, alors celui qui, en aval, en appréciera la démarche devenue artistique s’en trouvera lui-même inspiré. 1 + 1 = 3.
Comme le hasard sait si bien inspirer l’ordre des choses, trois vins sortaient du lot cette semaine. Trois. C’est beaucoup. C’est Noël avant l’heure. Curieusement, il y en avait un autre, mais pas du tout inspirant celui-là. Je vous fais grâce de son nom, un vin prévisible et technique, rageant de banalité, surtout que cette maison bordelaise très réputée a nettement les moyens de ses ambitions. Enfin, passons. Trois vins dégustés à l’aveugle, donc, aux antipodes, mais tous inspirants.
D’abord, cette « Cuvée Clémence »
2017 du Domaine de Boissan en appellation Côtes-du-Rhône Villages
Sablet (22,90 $ – 712521). Émouvant de sincérité, mais surtout un rouge qui vous prend tout entier dans ses « beaux gros bras gras », comme le ferait un châteauneuf-du-pape (avec lequel je l’ai confondu) pour vous raconter, par sa robe profonde, ses parfums richement ensoleillés et sa sève généreuse, chaude et texturée, une réelle histoire d’amour en syrah et grenache dans ce beau coin de pays. Émouvant autant qu’inspirant, et à mini-prix. (5+) 1/2 ©
Puis, cette plongée dans des temps immémoriaux, peuplés de créatures étranges à la façon de Jérôme Bosch, un rouge sans âge dont l’avenir n’est tissé que de souvenirs. Et pourtant, la magie opère, car vous y perdrez pied au premier nez. C’est ce qu’inspire ce
Montessu 2017 d’appellation Isola dei Nuraghi en Sardaigne (29,65 $ – 11098322), qui offre au carignan (ici à 60 %) un profil si unique qu’il laisse longuement songeur. Envoûtant à plus d’un titre, par ce caractère prune-cacao-graphite-marc de café et cette texture amère et serrante, fine et longuement lisible au palais. Je ne serais pas surpris que Jules Verne s’en soit inspiré dans son Voyage au centre de la Terre, plus spécifiquement sous cette île sarde où s’agitent les déstabilisantes créatures de Bosch. Inspirant, non ? (10+) ©
Enfin, mon moteur de bonheur avait tout le carburant voulu avec ce Pinot
Gris « Fronholz » 2018 du Domaine Ostertag (53,50 $ – 12392777), un blanc alsacien qui, visiblement, a déjà inspiré plusieurs d’entre vous, car les quantités disponibles sont au plus bas. L’échantillon reçu, véritable baume pour l’âme, devrait être prescrit à tous les esseulés dont la mèche vacille sous l’aridité du confinement actuel. Discrètement, André Ostertag, tel un lutin se dégageant des entrailles de son terroir, instille une lumière précieuse dans ce vin, une lumière vivante parcourant un spectre étonnant de tonalités et de flaveurs dont il est difficile de départager le début de la fin. Magique ! (10+) 1/2 ©