Les Rays feront-ils mentir la loi du plus riche ?
Et si l’argent n’était pas toujours le secret du succès, même dans le sport professionnel ? Les séries éliminatoires du baseball majeur sont peut-être en train d’en faire la démonstration… ou pas.
La presse spécialisée présente l’événement comme le choc entre deux mondes aux conceptions et aux réalités diamétralement opposées. Il ne s’agit pas de la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine, mais les soidisant « séries mondiales » du baseball qui ont commencé mardi.
À droite, on a les Dodgers de Los Angeles, dont la masse salariale des joueurs est la deuxième plus importante de la ligue, tout juste derrière les Yankees de New York. L’équipe, qui n’a pas remporté les grands honneurs depuis 1988, espère bien être de nouveau couronnée championne en cette troisième participation à la finale en quatre ans. Elle peut compter sur l’aide de plusieurs grandes vedettes comme leur joueur de champ Mookie Betts qui vient de signer un contrat de 365 millions $US pour 12 ans.
À gauche, on retrouve les Rays de Tampa Bay, dont la masse salariale est la 28e plus basse sur 30 équipes, c’est-à-dire presque quatre fois plus faible que les Dodgers (28 millions contre 108 millions, selon le site spécialisé Spotrac). L’un des héros improbables de ce qui pourrait être leur première conquête du titre suprême a été Randy Arozarena qui vient de battre le record du nombre de coups de circuit en matchs de championnat pour une recrue (7) pour un salaire annuel qui aurait dû être de 563 000 $ s’il n’avait pas été réduit à 90 000 $ en raison de la saison écourtée par la pandémie.
On comprend tout de suite que, dans cette histoire, les Rays sont une anomalie, non seulement sportive, mais aussi économique. Comment une organisation tellement pauvre qu’elle doit se défaire de ses joueurs aussitôt que leur talent devient un peu trop reconnu peut se retrouver en finale contre une équipe qui, au contraire, peut s’offrir presque tous les joueurs qu’elle veut ?
Le secret des Rays
Certains penseront tout de suite au film Moneyball, avec Brad Pitt, qui racontait l’histoire vraie d’une équipe de baseball sans le sou (les Athletics d’Oakland) qui a accompli des merveilles en tournant le dos à une vision intuitive et conventionnelle du sport pour embrasser une approche basée plutôt sur une analyse fine et froide des statistiques. Ils ne se trompent pas.
Le Brad Pitt des Rays s’appelle Andrew Friedman et arrivait de la banque d’affaires Goldman Sachs lorsqu’il a débarqué dans l’équipe qui n’allait nulle part et dont il a rapidement pris la tête en 2008, à 28 ans. Comme dans le film, on a alors adopté une étude systématique du jeu qui a conduit à toutes sortes d’innovations sportives et tactiques.
Un exemple ? On change constamment la liste des joueurs partants ainsi que l’ordre des frappeurs afin de s’adapter à l’évolution de leurs performances ainsi qu’aux forces et faiblesses des adversaires. « C’est difficile de croire qu’ils ont le même nombre de joueurs que nous parce qu’on n’a jamais l’impression d’avoir la même équipe en face », s’est exclamé cette semaine au New York Times l’entraîneur des Astros, Dusty Baker.
Les Rays sont également passés maîtres dans l’art de vendre leurs joueurs dès qu’ils prennent de la valeur et de les remplacer par de jeunes talents ou des joueurs dont les autres équipes ne veulent plus. Cet art s’accompagne d’un autre, plus important encore, qui est celui de développer ou de raviver ensuite ces talents par un accompagnement patient et personnalisé. Ces deux arts s’exercent dans un climat plus humain que dans la plupart des équipes, rapportait mardi le USA Today, mais viennent aussi avec un taux de roulement étourdissant, 17 des 40 joueurs actuels ayant joint l’équipe depuis moins de deux ans.
Pas si exceptionnel
Si cette approche des Rays est tellement géniale, pourquoi les autres équipes ne la copient-elles pas ? Elles le font, rapportait lundi le Wall Street Journal. À commencer par la Dodgers, dont le chef des activités sportives depuis 2014 est nul autre qu’Andrew Friedman, l’ancien « Brad Pitt » des Rays. On retrouve aussi de ses anciens complices entre autres à Houston, Boston, Chicago (Cubs), Washington, Atlanta, San Francisco, Milwaukee et Toronto.
Fortes de cette science ET de portefeuilles bien garnis, les 15 équipes qui disposaient des plus grosses masses salariales ont ainsi remporté 18 des 20 derniers championnats alors que la victoire, cette année, d’une équipe aussi désargentée que les Rays serait probablement une première.
Enfin, la loi du plus riche risque généralement de rester la meilleure dans cette dernière ligue professionnelle en Amérique du Nord à ne pas avoir de plafond salarial. Mais cette année sera peut-être une exception.