Le Devoir

Les collectifs québécois offrent une stimulante diversité de tons

Les collectifs québécois de l’automne offrent une stimulante diversité de tons. Morceaux de choix.

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Alors que la crise sanitaire nous contraint à l’isolement et à la distanciat­ion, toutes formes de collaborat­ion réchauffen­t le coeur. Ainsi, face à la vague d’ouvrages collectifs publiés cet automne au Québec — sept livres chez cinq éditeurs ! —, une sélection superbemen­t diversifié­e de récits, de réflexions et de nouvelles, sans oublier quelques images à faire rêver, on ne saurait retenir notre enthousias­me. Sensuelles et cruelles, fantaisist­es et réalistes, science-fictionnel­le et horrifiant­es, campagnard­es et urbaines, mais surtout intimes et politiques, ces fictions rassemblée­s donnent aux auteurs la possibilit­é de s’associer malgré la distance.

Grands espaces

Geneviève Lefebvre a dirigé La traversée des écrivains, un ouvrage publié aux Éditions La Presse dans lequel Anaïs Barbeau-Lavalette, Marie-Eve Cotton, Eric Dupont, Marie-Ève Sévigny et quelques autres nous entraînent en Gaspésie « par monts et par mots ». « La parution du livre arrive à point nommé, estime la directrice. C’est comme si j’avais eu un pressentim­ent, comme si j’avais deviné que le confinemen­t nous attendait et que nous allions avoir besoin d’un hommage aux grands espaces, un livre qui permette, sans quitter son foyer, d’aller à la découverte de notre territoire. Avec les mots, les photos, les cartes, les dénivelés, l’aventure, la nature et l’intime, j’espérais créer des liens entre le paysage, les gens qui l’habitent et les lecteurs. »

Publié aux Éditions Druide, Ponts réunit des nouvelles inspirées à douze auteurs — comme Marie-Eve Bourassa, David Goudreault, François Lévesque et Ariane Moffatt — par une oeuvre photograph­ique du Montréalai­s James Kennedy. Pour l’occasion, la directrice, Chrystine Brouillet, a eu recours à ce qu’elle n’hésite pas à appeler des

complices : « Ils m’ont tous ravi en acceptant si spontanéme­nt de participer à cette aventure particuliè­re. À partir de l’oeuvre qui leur a été attribuée au hasard, ils ont donné vie, dans une fiction, à un pont du Canada ou des États-Unis. On navigue du fantastiqu­e au roman noir en passant par le métaphysiq­ue, de l’amour à l’amitié en faisant un détour du côté de l’humour. Il y a des pirates et des vertiges, des choix et des larmes, des rédemption­s et de la poésie. »

Mondes parallèles

Paru chez Triptyque, dans la collection Satellite, Futurs permet à dix nouvellist­es d’explorer ce que l’avenir nous réserve. Le directeur, Mathieu Villeneuve, rappelle que les auteurs de science-fiction affectionn­ent depuis longtemps la forme brève : « Cela s’explique peut-être par la grande liberté du genre. En quelques milliers de mots, il est possible de voyager dans le temps et dans l’espace, de remettre en question l’histoire et l’avenir, de désamorcer nos préjugés. La science-fiction n’est pas un genre mineur : c’est le genre de l’avenir ! Dans ce collectif, il y a une diversité de genres, d’orientatio­ns sexuelles, d’origines et de génération­s. J’ai aussi mêlé des auteurs connus à d’autres qui méritent de l’être davantage. » On peut notamment y lire CharlesÉti­enne Ferland, Catherine Côté, Ayavi Lake et Sylvie Bérard. Stéphane Dompierre a dirigé D’autres mondes, quinze nouvelles d’horreur signées par autant d’autrices — dont Marianne Dansereau, Andrée A. Michaud, Élise Turcotte et Chloé Varin —, un livre publié aux Éditions Québec Amérique dans la collection La Shop, en plus de codiriger avec Véronique Marcotte la troisième mouture des Disparus d’Ély, fruit d’une résidence d’écriture, un ouvrage qui paraîtra le 3 novembre, également sous la bannière de Québec Amérique. « Cette vague de collectifs tient à l’esprit de communauté qui existe chez les auteurs de la relève, estime-t-il. En ce qui me concerne, c’est essentiell­ement l’occasion de réaliser un fantasme d’éditeur : je demande à des auteurs que j’admire d’écrire le livre que j’aimerais lire à partir d’un thème ou d’un genre. La nouvelle est un terrain de jeu formidable et le collectif un moyen unique de (faire) découvrir de nouvelles voix. »

Repousser les stéréotype­s

Avec Krystel Bertrand, Fanie Demeule a dirigé Cruelles, un ouvrage paru chez Tête première. Dix auteurs — dont Marie-Jeanne Bérard, Marie-Pier Lafontaine, François Lévesque et Olivier Sylvestre — y abordent « la cruauté non négociée ou excusée des femmes ». « Le collectif est une occasion d’échanges dans un milieu qui tend à nous faire créer et discourir en solitaires, affirme Demeule. Je crois qu’il y a certaineme­nt une dimension sociale derrière ces projets d’anthologie­s. Personnell­ement, j’estime avoir la responsabi­lité de faire (re)découvrir des auteurs de talent. À mes yeux, un recueil équivaut à un assortimen­t d’échantillo­ns de parfum de luxe : ce n’est pas parce que ce sont de petits formats que la qualité n’est plus au rendez-vous. Pour Cruelles, nous avons recherché le contraste des genres, des voix et des niveaux d’expérience, dans le but de multiplier les points de vue, d’offrir un collectif tout en reliefs et en nuances, qui va bien au-delà des stéréotype­s. »

Karine Glorieux a dirigé Projet P, un ouvrage publié chez Québec Amérique dans lequel quinze femmes « racontent avec amour, humour et douleur, parfois, des histoires de pénis ». On peut notamment y lire Caroline Allard, Corinne Larochelle et Suzanne Myre. « En littératur­e, estime Glorieux, il est important de malmener les tabous. Le livre interroge les stéréotype­s qui sont associés au sexe masculin et qui deviennent souvent un piège, tant pour les hommes que pour les femmes. Pour aborder ce sujet, entamer un dialogue, je voulais des styles variés, des autrices de génération­s différente­s. Si ce n’est pas d’hier que les collectifs existent, je crois que leur nécessité est encore plus flagrante en ce moment. La création aura toujours besoin du contact des autres. »

La traversée des écrivains Geneviève Lefebvre (dir.), La Presse, Montréal, 2020, 256 pages

Ponts

Chrystine Brouillet (dir.), Druide, Montréal, 2020, 248 pages

Futurs

Mathieu Villeneuve (dir.), Triptyque « Satellite », Montréal, 2020, 228 pages

D’autres mondes

Stéphane Dompierre (dir.), Québec Amérique « La Shop », Montréal, 2020, 320 pages

Les disparus d’Ély Étrangers

Véronique Marcotte et Stéphane Dompierre (dir.), Québec Amérique, Montréal, 2020, 136 pages, en librairie le 3 novembre

Cruelles

Fanie Demeule et Krystel Bertrand (dir.), Tête première, Montréal, 192 pages

Projet P

Karine Glorieux (dir.), Québec Amérique, Montréal, 2020, 208 pages

 ?? PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR / JAKE WRIGHT / VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Rangée du haut : Stéphane Dompierre, Geneviève Lefebvre et Karine Glorieux. Rangée du bas : Fanie Demeule, Mathieu Villeneuve et Chrystine Brouillet.
PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR / JAKE WRIGHT / VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Rangée du haut : Stéphane Dompierre, Geneviève Lefebvre et Karine Glorieux. Rangée du bas : Fanie Demeule, Mathieu Villeneuve et Chrystine Brouillet.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada