Le Devoir

Le caribou migrateur bientôt espèce menacée ?

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt du Québec pourrait finalement accorder un statut d’espèce « menacée ou vulnérable » au caribou migrateur, a appris Le Devoir. Il faut dire que ce cervidé a subi ici un déclin d’une ampleur sans précédent au cours des dernières années. Une protection accrue de cette espèce emblématiq­ue des régions nordiques passerait toutefois par une meilleure préservati­on de son habitat, et donc possibleme­nt par l’imposition de limites au développem­ent industriel.

Le plus récent bilan du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) pour le troupeau de la rivière George, jadis le plus important au Canada, est venu confirmer la situation toujours très précaire du caribou migrateur. Selon les données recueillie­s en juillet et publiées au cours des derniers jours, on y comptait 8100 bêtes, soit le « premier résultat d’inventaire positif pour cette population depuis 1993 ». Il s’agissait en fait d’un rebond par rapport aux 5500 têtes comptabili­sées en 2018, rebond attribuabl­e au « grand nombre » de faons observés cette année.

Le biologiste Steeve Côté, du programme de recherche Caribou Ungava, estime cependant qu’il est impossible pour le moment de savoir si la hausse observée cette année avec le troupeau de la rivière George se poursuivra. « Il reste à voir le taux de survie des faons. Mais il est trop tôt pour conclure que nous sommes sur une trajectoir­e ascendante. »

Le portrait global demeure toutefois le même. Selon l’évaluation du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), le troupeau de la rivière George a subi un déclin « sans précédent » de 99 % depuis le début des années 1990, alors qu’il comptait environ 800 000 bêtes. Ce constat avait d’ailleurs poussé le COSEPAC à recommande­r en 2017 d’accorder le statut d’espèce « en voie de disparitio­n » au caribou migrateur de l’est, soit la désignatio­n la plus sévère de la Loi sur les espèces en péril.

Trois ans plus tard, cette espèce n’a toujours pas de statut, selon la législatio­n fédérale, ni selon celle du Québec. Mais cela pourrait changer. Le MFFP « évalue la possibilit­é de désigner le caribou migrateur comme espèce menacée ou vulnérable en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérable­s », a en effet précisé le ministère en réponse aux questions du Devoir.

« La situation particuliè­re du caribou migrateur est sous étude afin d’établir un portrait fidèle de la situation et, suite aux résultats des analyses, une propositio­n nous sera soumise par notre équipe de biologiste­s », a ajouté le cabinet du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour.

Coauteur du « rapport de situation » qui a servi de base à la recommanda­tion du COSEPAC en 2017, Marco Festa-Bianchet juge important d’inscrire l’espèce comme étant « menacée » au Québec. « Les déclins cycliques sont fréquents avec les caribous migrateurs. Mais on constate aujourd’hui que la vaste majorité des troupeaux sont en déclin et qu’il est catastroph­ique pour le troupeau de la rivière George. En plus, nous avons les impacts des changement­s climatique­s et du développem­ent nordique, avec l’industrie minière, les chemins, les barrages, etc. »

Caribous et projets miniers

M. Festa-Bianchet doute cependant de la volonté gouverneme­ntale à mettre en place des mesures de « protection » du vaste habitat de ces cervidés, qui sont divisés en deux troupeaux principaux au Québec. Selon lui, cela impliquera­it « des conflits » avec certaines industries, dont possibleme­nt l’industrie minière. « C’est la même chose qui se produit avec le caribou forestier. On sait ce qu’il faut faire, mais on ne le fait pas. Ça prend des forêts et on continue de les couper », illustre celui qui est aussi directeur du départemen­t de biologie de l’Université de Sherbrooke.

Le biologiste Alain Branchaud, de la Société pour la nature et les parcs, rappelle d’ailleurs que le troupeau de la rivière George et celui de la rivière aux Feuilles (qui a décliné de près de 70 % au cours des dernières années) fréquenten­t des régions où on retrouve aussi plusieurs titres miniers d’exploratio­n. « Même si nous sommes en territoire nordique, il y a déjà beaucoup de perturbati­ons. C’est certain que ça a un impact sur les caribous », souligne-t-il. Le COSEPAC abonde dans le même sens, en précisant que les caribous sont sensibles aux « perturbati­ons ». « Le développem­ent industriel, et plus particuliè­rement l’exploitati­on minière et les réseaux routiers qui y sont associés, représente une menace pour les caribous ».

Selon M. Branchaud, « la préservati­on de l’habitat de l’espèce demeure donc la meilleure option, et ça passe par la création d’aires protégées ».

On constate aujourd’hui que la vaste majorité des troupeaux sont en déclin et qu’il est catastroph­ique pour le troupeau de la rivière George MARCO FESTA-BIANCHET

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