Le Devoir

Borat et l’usure du temps

Le pseudo-journalist­e kazakh de Sacha Baron Cohen revient sur fond de bêtise états-unienne

- FRANÇOIS LÉVESQUE

En 2006, l’acteur britanniqu­e Sacha Baron Cohen, se faisant passer pour un journalist­e kazakh stupide, antisémite et misogyne prénommé Borat, s’est payé la tête de l’Amérique de George W. Bush. Ignorant l’identité réelle de Cohen ainsi que la vraie nature de sa démarche, les participan­ts au faux documentai­re Borat ont sans le vouloir exposé au grand jour une bêtise, une incurie et, ceci expliquant souvent cela, une affolante propension à la haine. Quatorze ans plus tard, personne ne s’attendait à un retour du moustachu au maillot vert fluo. Tournée en secret pendant la pandémie, une suite vient pourtant d’arriver sur la plateforme Prime Video d’Amazon. Au menu ? Même constat. En pire.

Après la révélation surprise de son existence, Borat Subsequent Moviefilm (Borat, nouvelle mission filmée) était d’autant plus attendu que depuis une semaine les médias américains se gaussent de ce que Rudolph Giuliani, le plus célèbre des avocats du président Trump, se soit fait piéger par Sacha Baron Cohen. L’ancien maire de New York a nié, s’est ravisé, défendu… On laissera au public le plaisir, ou plutôt l’effarement, de découvrir la teneur de la participat­ion de Giuliani.

Pour le compte, cependant, il convient de préciser que le mérite de cette prise, qui constitue sans conteste la plus importante du film, revient davantage à Maria Bakalova, une actrice de 24 ans qui vole la vedette dans le rôle de Tutar, la fille de 15 ans de Borat. Après s’être invitée en douce dans la mission de son père, chargé par les autorités de la « naguère glorieuse république du Kazakhstan » de remettre au vice-président américain, Mike Pence, un présent inusité, Tutar accompagne son célèbre père dans ses pérégrinat­ions hautes en couleur. Entre autres passages incitant à se plaquer la main au front : un têteà-tête avec l’influenceu­se Macy Chanel, qui explique le plus sérieuseme­nt du monde à Tutar combien il importe pour une femme d’être soumise à l’homme.

Prêcher aux convertis

Au sujet de la notoriété de Borat, Sacha Baron Cohen s’avère habile, passé un prologue récapitula­tif du premier opus destiné à éclairer qui ne l’aurait pas vu, à transforme­r en atout ce qui aurait pu être un désavantag­e. En effet, impossible dorénavant pour son personnage de passer incognito aux États-Unis tant il est entré dans la culture populaire. Voici donc Borat devenu un as du déguisemen­t.

Parmi les temps forts en costume, on signalera cette interrupti­on surréelle d’une conférence du vice-président Mike Pence devant des fervents de la CPAC (Conservati­ve Political Action Conference) ainsi qu’un séjour sourdement angoissant chez des conspirati­onnistes.

Bien qu’à l’instar de l’original, cette suite consiste en un assemblage de tableaux satiriques diffusémen­t reliés entre eux par un fil narratif, on ne s’esclaffe pas tant qu’on grince des dents tellement le portrait est consternan­t. Peut-être aussi parce qu’après un mandat complet de Donald Trump à la Maison-Blanche, on a moins envie de rire de ce qui se passe chez nos voisins du sud ? Notamment parce que ça déborde partout, dont chez nous ?

Corollaire du succès du film précédent, Borat Subsequent Moviefilm ne bénéficie pas du facteur « curiosité » dont a joui l’original : qui le verra le fera en toute connaissan­ce de cause. Phénomène connexe : au cours des quatorze dernières années, la polarisati­on entre les tenants de la gauche et ceux de la droite s’est accrue. De telle sorte qu’en se payant à nouveau exclusivem­ent la tête des seconds, qui n’aident pas leur cause on l’aura compris, Cohen prêche plus que jamais aux convertis.

Son film relève de la proverbial­e chambre d’écho.

Nouvelle normalité

Qui plus est, et à nouveau contrairem­ent à la situation de 2006, ce Borat-ci survient dans un contexte où les États Unis ont régulièrem­ent des allures de cirque dans les médias, « faits alternatif­s » et tweets présidenti­els intempesti­fs aidant. En d’autres mots, la toile de fond de 2020 est d’emblée outrancièr­e. Ce qui oblige Cohen, lorsqu’il débarque pour faire son numéro, à travailler parfois très fort pour que ses insolences fassent mouche. Contrairem­ent au premier film, on sent le labeur.

Pour autant, le mordant sociopolit­ique et la maestria irrévérenc­ieuse qui ont fait la renommée de Cohen demeurent, quoique de manière sporadique. Dans ses propositio­ns, qui incluent le bête, méchant et désopilant Brüno, le brio de Cohen réside dans sa capacité à isoler des gens aux conviction­s ou comporteme­nts affligeant­s, pour mieux grossir leurs travers jusqu’à la caricature.

Or, les figures du présent gouverneme­nt que le film prend pour cibles sont d’ores et déjà des caricature­s. L’exercice tourne donc cette fois un peu à vide. En 2006, le constat était aussi hilarant que stupéfiant. En 2020, l’état des lieux désole, mais n’étonne guère. Et ça, c’est plus triste que drôle.

 ?? AMAZON STUDIOS ?? Le retour du célèbre moustachu s’est fait en secret, grâce à un Borat devenu le roi du déguisemen­t.
Borat, nouvelle mission filmée (V.F. de Borat Subsequent Moviefilm)
Comédie satirique de Jason Woliner. Avec Sacha Baron Cohen, Maria Bakalova. États-Unis, 2020, 96 minutes. Sur Prime Video
AMAZON STUDIOS Le retour du célèbre moustachu s’est fait en secret, grâce à un Borat devenu le roi du déguisemen­t. Borat, nouvelle mission filmée (V.F. de Borat Subsequent Moviefilm) Comédie satirique de Jason Woliner. Avec Sacha Baron Cohen, Maria Bakalova. États-Unis, 2020, 96 minutes. Sur Prime Video

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