Les détaillants nerveux à l’approche des Fêtes
Si le processus de liquidation annoncé vendredi par Le Château marque la fin d’une entreprise qui éprouvait des problèmes bien avant la pandémie, il rappelle aussi toute l’ampleur du défi auquel feront face les détaillants au cours des prochains mois, déchirés entre espoir et inquiétude alors qu’approche une des saisons fortes de l’année : la période des Fêtes.
Disant avoir tout fait pour refinancer la compagnie ou la vendre, la direction du détaillant montréalais, qui compte 1400 employés, dont 500 au siège social, a indiqué que c’est « à regret » qu’elle a choisi de se protéger de ses créanciers en Cour supérieure pour amorcer les procédures visant à liquider les actifs et à cesser les activités.
Fondée en 1959, la chaîne compte 123 succursales au Canada, de même qu’un site transactionnel. Même pendant le processus de liquidation, la compagnie continuera de fonctionner et les magasins seront ouverts, a-t-elle indiqué. « Le secteur de la vente au détail fait face à de nombreux défis en raison de la pandémie de COVID-19 en cours et de la deuxième vague qui frappe actuellement nos communautés à travers le Canada, a indiqué la société dans un long communiqué.
«L’impact déjà évident de cette situation sur la demande des consommateurs pour les vêtements du temps des Fêtes et les tenues de soirée de Le Château, qui représentent le coeur des produits que nous offrons, a réduit la capacité de Le Château à poursuivre ses activités. » Elle n’avait pas « d’autre choix » que d’enclencher le processus de liquidation et dit regretter les répercussions sur le personnel. PwC agira comme contrôleur.
Les ventes de la compagnie ont atteint 32,3 millions au cours du semestre terminé à la fin du mois de juillet, une chute de 62 % par rapport aux 85,7 millions de l’année précédente. Pour les six premiers mois de 2020, la perte nette a été de 13 millions.
De plus, selon les derniers états financiers, l’actif courant (stocks, trésorerie, etc.) au 25 juillet se chiffrait à 88,7 millions, alors que le passif courant (marge de crédit, dettes fournisseurs, etc.) atteignait 134,5 millions. Cette situation indique une insuffisance de fonds de roulement de 45,8 millions.
L’annonce ajoute Le Château à une liste de détaillants qui, sans aller vers une liquidation, se sont mis en vente ou se sont protégés de leurs créanciers pour se restructurer : Aldo, MEC, Frank & Oak, Reitmans, Tristan, Ernest, etc.
L’espoir des Fêtes
« Il y a beaucoup d’inquiétude chez les détaillants en ce moment », a dit Debbie Zakaib, directrice générale de la grappe industrielle Mmode, qui représente environ 250 entreprises. Un point positif : la pandémie a accéléré le virage numérique.
« Chaque détaillant a son histoire. Mais si je fais ça sommairement, car je parle à beaucoup de détaillants, ils espèrent avoir un temps des Fêtes qui est fort pour éviter des pertes ou des situations de fermeture, a-t-elle ajouté.
Mais pour l’instant, au moins c’est ouvert, par rapport aux restaurateurs, pour qui ce qui se passe est horrible. On souhaite que ça puisse demeurer ouvert. Dans les boutiques, c’est très sécuritaire. »
Le Château connaissait des problèmes avant la pandémie, a mentionné JoAnne Labrecque, qui enseigne le marketing à HEC Montréal.
« Avec le contexte actuel, pour ceux qui étaient en mauvaise posture avant la pandémie, ça ne pardonne pas. La baisse des ventes est trop importante par rapport à une situation normale. »
L’approche du temps des Fêtes, a rappelé Mme Labrecque, est une période lucrative pour le secteur du commerce de détail, propulsé par les réunions familiales, les cadeaux et les partys de bureau.
« Au chapitre de la rentabilité, c’est important. On peut facilement supposer que les ventes ne seront pas au même niveau que l’an dernier. Comment les commerçants vont-ils passer à travers cette période-là après ? Mystère et boule de gomme. […] C’est une situation difficile, anormale et qui met de plus en plus de pression sur les commerçants. »
« C’est toujours très triste quand ça arrive. Mais est-ce que ça nous étonne ? Non, parce qu’on sait que le secteur du vêtement et de la mode, c’est un de ceux les plus frappés par l’effet de la pandémie. Atrocement frappés », a dit Jean-François Belleau, directeur des relations gouvernementales au Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) pour le Québec. N’étant pas considérés comme essentiels, ils ont dû fermer pendant des semaines.
« Aussi, ils ont eu beaucoup de difficulté à rouvrir, dans la mesure où la majorité est située dans des centres d’achat. Aussi, avec le télétravail, les ventes de vêtements ont beaucoup diminué. »
L’industrie se croise les doigts pour que les ventes reprennent à l’approche des Fêtes. « Est-ce que ça va être suffisant pour aider le secteur de la mode ? Je ne le sais pas. »