2 Le matin
Lucien Bouchard
« On est allés voter à Alma. On a nolisé un avion et on est partis, avec mon petit groupe. On était comme dans une sorte de rêve. On n’arrivait pas à appréhender totalement la signification du moment, parce qu’on pensait qu’on allait gagner. On n’en était pas certains, mais on avait des indications très réalistes. […] Et c’est ce que j’avais en tête le matin. J’essayais de comprendre l’importance du moment — qui était véritablement historique pour le Québec. Et j’étais comme écrasé par l’importance historique du moment, en me disant aussi que je serais un acteur dans la suite des choses. »
Jean Charest. En 1995, chef du Parti progressiste-conservateur. Vice-président du comité du Non. Premier ministre du Québec de 2003 à 2012.
« Le matin, il y avait cette très forte émotion d’inquiétude, sachant que cette journée-là on jouait l’histoire. On le savait très bien. Nous savions que c’était l’avenir du Québec, du Canada, et notre avenir à nous personnellement qui se jouaient ce jour-là. Tout était sur la table. Ils sont rares, ces moments-là. C’est ce sentiment qui m’habitait le matin. »
Lisette Lapointe. En 1995, épouse du premier ministre Jacques Parizeau. Députée péquiste de 2007 à 2012.
« C’est certain qu’on y croyait [à la victoire]. Moi, j’étais très confiante en la victoire du Oui. On savait que c’était serré, mais c’était clair que c’était faisable.
Pauline Marois. En 1995, présidente du Conseil du trésor dans le gouvernement Parizeau. Première ministre du Québec de 2012 à 2014.
« Dans les mois qui ont précédé le référendum, nous avions réussi à unir les forces souverainistes. […] Toute la famille nationaliste était au rendez-vous et nous avions fait une campagne remarquable. En me réveillant le 30 octobre au matin, j’étais fébrile, mais confiante : pour la première fois, le peuple québécois se ferait assez confiance pour décider de prendre en main son destin. J’imaginais la force de mobilisation et d’espoir que ce moment historique allait créer. »
Lucien Bouchard
« J’ai toujours été prudent avec le mot “historique”. Mais ce matin-là, je sentais que, pour la première fois, le Québec et moi allions vivre un moment historique. On savait que toute la presse internationale affluait
vers Montréal. […] Le Québec serait au centre du monde ce soir-là. »
John Parisella
« J’étais avec mes collègues du comité à la réunion du matin. J’ai senti une nervosité, oui. Mais j’avais essentiellement confiance qu’on gagnerait. J’avais encore mes conversations avec Robert Bourassa, même s’il n’était plus au pouvoir. Et on se disait qu’on avait toujours la prime de l’urne : les sondages nous sous-évaluaient d’au moins deux ou trois points — ce serait encore plus vrai sur une question d’unité nationale. »
Gérald Larose. En 1995, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et membre du comité national du Oui.
« Le matin du 30, je m’attendais à “l’impossible rêve”, que le Québec allait peut-être atteindre le soir même. »
Lucien Bouchard
« J’avais de la difficulté à appréhender ce que ça signifierait [si le Oui l’emportait]. J’étais comme un peu figé, dépassé par ce qui arrivait. Et je me demandais : pourquoi, toi, tu es là ? Tellement de gens ont livré des combats plus durs avant : Papineau, Henri Bourassa, Lévesque, des gens qui sont allés très loin. Et nous, on va vivre l’aboutissement espéré par ces gens ? Sera-t-on à la hauteur ? Mille questions. Et impossible de savoir ce qui se passerait après. J’étais inquiet de la réaction des marchés. »
Louise Beaudoin. En 1995, ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Culture et des Communications. Membre du comité des priorités et du comité référendaire dans le gouvernement Parizeau.
« On sentait que ce serait très serré. J’étais dans tous les comités, j’avais parlé aux organisateurs du comité national. Et comme je suis pessimiste de nature, je n’étais pas convaincue. Le momentum était meilleur une semaine plus tôt — avant le love-in [grand rassemblement des forces fédéralistes organisé le 27 octobre à Montréal, pour lequel des milliers de Canadiens avaient profité d’un transport gratuit pour affluer de partout au pays]. Ceux qui pensent que ça n’a rien donné, c’est faux. Je l’ai senti sur le terrain. Quand tu es sur le terrain, tu vois ces choses, les avancées, les reculs. Le momentum qu’on avait a été cassé. »
Gérald Larose
C’était impossible que ce ne soit pas serré. Les fédéralistes avaient mis [illégalement] le paquet dans les jours précédents. »