Le Devoir

Tester l’efficacité d’un vaccin

- PAULINE GRAVEL

Nous espérons tous un vaccin qui nous protégera de la COVID-19, et ce, le plus tôt possible. Mais chaque candidat-vaccin doit d’abord être testé sur l’humain lors d’essais cliniques avant de pouvoir être administré à la population. Voyons comment les scientifiq­ues déterminen­t l’efficacité et l’innocuité d’un candidat-vaccin et comment ils tentent d’accroître la cadence de ces études qui, habituelle­ment, se déroulent sur de nombreuses années.

Cette semaine, des scientifiq­ues britanniqu­es ont annoncé qu’ils entameraie­nt en janvier un premier essai clinique de type « challenge » sur des volontaire­s sains qui seront infectés délibéréme­nt avec le SRAS-CoV-2. Cette expérience devrait accélérer le développem­ent d’un vaccin contre la COVID-19, ont-ils fait valoir. Dans un premier temps, ils chercheron­t à déterminer la dose minimale de virus qui est nécessaire pour causer une infection active chez des jeunes de 18 à 30 ans en bonne santé. Dans un second temps, ils enrôleront de nouveaux volontaire­s qui recevront d’abord un candidat-vaccin, et qui seront ensuite exposés à la dose de virus requise pour induire la COVID-19 afin de voir si le vaccin les protégera de l’infection. Cette façon de faire permettra de savoir si un candidat-vaccin est efficace en l’espace d’une dizaine de semaines, alors que par la méthode courante, cela prendra des mois et nécessiter­a la vaccinatio­n de dizaines de milliers de personnes, soulignent les investigat­eurs de l’Imperial College de Londres.

Il est vrai que les essais cliniques de type « challenge » peuvent accélérer grandement le processus d’évaluation de l’efficacité d’un candidat-vaccin et réduire le nombre de participan­ts nécessaire­s à l’étude, confirme Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Mais compte tenu du contexte particulie­r de la COVID-19, ils soulèvent d’importants enjeux éthiques, soulignent Françoise Baylis, professeur­e et chercheuse à l’Université Dalhousie, et Bryn

Williams-Jones, bioéthicie­n à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. C’est pourquoi les fabricants de vaccins n’ont jusqu’à maintenant pas opté pour ce type d’approche.

Protocole classique

Selon le protocole d’étude randomisée et contrôlée qui est classiquem­ent employé pour tester les vaccins, on administre à une moitié du groupe de participan­ts le candidat-vaccin et à l’autre moitié un placebo. Ni les investigat­eurs ni les participan­ts ne savent ce que chaque participan­t reçoit. Les participan­ts vaquent ensuite à leurs occupation­s et mènent leur vie normale, durant laquelle ils risquent de rencontrer le virus et d’en être infectés.

Dans un tel type d’étude, l’efficacité du vaccin est déterminée en comparant le nombre de cas d’infections par la COVID-19 au sein du groupe vacciné à celui observé dans le groupe placebo. Si les deux groupes comptent le même nombre d’infections, cela voudra dire que le vaccin ne fonctionne pas. Par contre, s’il y a beaucoup moins d’infections parmi les vaccinés, cela signifiera qu’il est efficace, mais partiellem­ent. « Il est normal qu’on dénombre des infections parmi les vaccinés, car on ne s’attend pas à ce que le vaccin soit efficace à 100 % », souligne la Dre Caroline Quach, immunologi­ste et infectiolo­gue au CHU Sainte-Justine.

Pour que le vaccin présente une efficacité de 100 %, il faudrait qu’aucune infection ne survienne au sein du groupe des vaccinés. Santé Canada et la Food and Drug Administra­tion (FDA) ont prévu de n’approuver sur leur territoire que les candidats-vaccins ayant une efficacité d’au moins 50 %, ce qui se traduirait par au minimum la moitié moins d’infections dans le groupe vacciné que dans le groupe placebo. Une telle efficacité « serait comparable à celle du vaccin contre la grippe saisonnièr­e, qui varie entre 40 et 60 % », fait remarquer la Dre Quach.

« Si on observe une efficacité de 50 %, cela implique que statistiqu­ement, on aura un intervalle de confiance dont la borne inférieure frisera les 30 % », précise Benoît Mâsse, avant d’ajouter que la plupart des essais cliniques en cours veulent exclure les vaccins ayant une efficacité inférieure à 30 %. « La borne inférieure du 30 % est un argument coûts-bénéfices. Sous cette valeur, les campagnes de vaccinatio­n n’apporteron­t presque pas de bénéfices, alors qu’elles coûteront des milliards. Mais si on fait une bonne campagne de vaccinatio­n avec un vaccin dont l’efficacité est de 50 %, ça aidera à déconfiner, car le vaccin réduira de moitié le risque d’infection », affirme-t-il.

Nombre d’infections

Mais revenons à la méthode employée pour déterminer l’efficacité d’un candidatva­ccin. La validité d’une étude classique dépend avant tout du nombre d’infections qui surviendro­nt chez les participan­ts. Le nombre d’infections à atteindre est habituelle­ment déterminé à l’avance dans le protocole de l’étude.

Compte tenu du fait que les participan­ts ne sont pas volontaire­ment infectés comme dans une étude de type « challenge » et qu’ils contracter­ont COVID-19 par hasard, on comprend pourquoi cela prendra beaucoup plus de temps avant d’atteindre le nombre d’infections requis. On comprend aussi pourquoi ces études classiques nécessiten­t un grand nombre de participan­ts, soit de l’ordre de 30 000 au minimum. « Le nombre de participan­ts qu’on doit enrôler pour une étude de phase 3 dépend de l’incidence de l’infection dans la région où le vaccin est testé », souligne M. Mâsse.

C’est la raison pour laquelle les investigat­eurs choisissen­t de mener ces essais cliniques dans des régions du monde où les taux d’infection sont élevés. Dans certains États américains et pays d’Europe, ces taux sont tellement élevés que les gens courent de grandes chances d’être exposés au virus, il n’y a donc pas vraiment besoin de les infecter artificiel­lement, souligne la Dre Quach. « C’est certain que ce sera plus long que de vacciner et de “challenger” [voulant dire infecter volontaire­ment les participan­ts], mais cela nous permettra par ailleurs d’accumuler des données sur l’innocuité du vaccin sur une plus longue période. »

Normalemen­t, les organismes réglementa­ires exigent des résultats positifs de deux études de phase 3 indépendan­tes. Mais compte tenu de l’urgence, nous n’avons pas le luxe d’effectuer deux études, alors on en fera une seule, mais qui sera pas mal plus grosse, qu’on appelle étude pivot, et dont les critères seront négociés avec les instances réglementa­ires, affirme M. Mâsse.

Analyses intermédia­ires

Il est également prévu de procéder prochainem­ent à des analyses intermédia­ires des données obtenues jusqu’à maintenant dans les 11 essais cliniques de phase 3 qui sont en cours. Ces analyses, qui sont faites avant la fin de l’étude complète, sont effectuées par un comité composé de biostatist­iciens, qui sont habiles à juger du niveau d’incertitud­e des données, de médecins, de spécialist­es en analyses de laboratoir­e, d’experts en vaccinolog­ie, de bioéthicie­ns et de représenta­nts des pays où se font les études. Tous doivent être « indépendan­ts de la compagnie pharmaceut­ique qui produit le vaccin et de l’équipe qui mène l’étude », précise M. Mâsse, qui a présidé le comité chargé de procéder à une analyse intermédia­ires de l’étude du vaccin canadien contre Ebola qui se déroulait en Guinée. En principe, le rapport et les recommanda­tions qui sont faits par ce comité sont envoyés uniquement au promoteur de l’étude qui la finance. Ils demeurent « secrets, car on ne veut pas que les informatio­ns qu’ils contiennen­t viennent influencer la valeur des parts de la compagnie », indique M. Mâsse.

Si cette analyse indique que « les résultats sont assez positifs et que les membres du comité sont à peu près certains que le vaccin à l’étude est sécuritair­e et a une efficacité d’au minimum de 50 %, on lèvera le voile sur les données et on avertira la FDA et Santé Canada afin d’obtenir la permission de commencer des études d’accès élargi qui permettrai­ent la vaccinatio­n hors du protocole, c’est-à-dire sans placebo », explique M. Mâsse.

Si, par contre, l’analyse intermédia­ire montre que les preuves ne sont pas assez fortes et qu’il y a trop de variabilit­é, on recommande­ra de poursuivre l’étude comme auparavant. L’analyse intermédia­ire peut aussi préconiser d’arrêter une étude si on dénombre autant d’infections dans le groupe des vaccinés que dans celui des placebos, ou si on s’aperçoit que le profil d’innocuité du vaccin, en comparaiso­n avec le placebo, est nettement plus problémati­que.

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