Le Devoir

Tout pourrait bien aller…

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À9 jours de l’élection, plus de 52 millions d’Américains ont déjà voté. Un record. Mais les enjeux dépassent la seule élection présidenti­elle : au cours du même vote se déroule un grand nombre de scrutins, aux niveaux fédéral, fédéré, local, municipal pour désigner des shérifs, des procureurs, des coroners, des juges (aux petites créances, de cours d’appels, de cours suprêmes des États), des ingénieurs des routes, trésoriers, commissair­es de comtés, des commissair­es scolaires, des maires, des conseiller­s municipaux, des législateu­rs d’État, des représenta­nts et sénateurs fédéraux, ainsi que des référendum­s, amendement­s constituti­onnels, votes de révocation ou d’abrogation… La liste est longue. C’est ce qui explique que, parfois, un seul bulletin finisse par occuper quatre feuilles au format légal recto verso, et que certaines études considèren­t que cette complexité fait partie des obstacles qui limitent l’accessibil­ité au vote.

Chacun de ces scrutins a évidemment un rôle déterminan­t. En effet, la marge de manoeuvre du président (nouveau ou réélu) à compter du 20 janvier dépendra largement de sa majorité politique au Congrès, et notamment au Sénat. Il y a aussi un lien étroit entre les différente­s courses : les candidats aux autres niveaux fédéraux et fédérés vont bénéficier (ou pâtir) de la vague que génère le gagnant de l’élection présidenti­elle. On parle alors de l’effet de « basques » du président. C’est la raison pour laquelle, tout en étant prudent, on peut imaginer qu’une victoire significat­ive de Biden puisse également emporter certains États, notamment pour ce qui est du Sénat — c’est ainsi que l’incontesté Lindsey Graham en Caroline du Sud commence à sentir son adversaire lui souffler dans le cou. Timidement, certains sondeurs laissent entendre qu’une vague bleue pourrait emporter les États-Unis.

Même en admettant que le ras-le-bol des Américains soit suffisamme­nt important pour l’emporter, ce que contestent d’autres sondeurs qui avaient vu juste en 2016, il reste que plusieurs obstacles pourraient faire dérailler le train démocrate.

D’abord l’apparente stabilité de l’électorat. La grande majorité des Américains dit avoir fait son choix, et il ne resterait donc qu’une poignée d’indécis. Seuls 2 % hésiteraie­nt encore (selon un sondage NPR-Marist University). Tout un changement par rapport à 2016. Toutefois les nouvelles inscriptio­ns sur les listes électorale­s pourraient fausser la perspectiv­e. D’un côté, 20 États plus le District de Columbia autorisent les inscriptio­ns électorale­s jusqu’au jour même de l’élection — une variable peu déterminan­te, mais une mobilisati­on de dernière minute demeure possible. De l’autre côté, certains sondeurs soulignent l’existence de trumpistes silencieux, et le travail colossal des équipes républicai­nes pour mobiliser et enregistre­r de nouveaux électeurs.

Même en admettant que le ras-le-bol des Américains soit suffisamme­nt important pour l’emporter, il reste que plusieurs obstacles pourraient faire dérailler le train démocrate Ensuite, la validation des bulletins. Compte tenu de leur complexité, les erreurs dans le vote sont fréquentes. Avec des variations importante­s d’un État à l’autre, l’invalidati­on des bulletins peut tenir au fait que les signatures dans le vote par correspond­ance ne sont pas totalement identiques à celles qui sont enregistré­es, ou qu’il manque la signature d’un témoin, ou encore parce que l’électeur a coché deux cases pour une même élection — ce qui a mené à invalider 19 000 bulletins en Floride en 2000. Or, certaines catégories d’électeurs voient plus fréquemmen­t leurs bulletins rejetés, comme le montrent les études du Brennan Center ou plus récemment une enquête du New York Times : les jeunes électeurs et les minorités hispanique­s et afro-américaine­s ont de deux à cinq fois plus de risque de voir leur bulletin rejeté. Ce qui dessert, a priori, l’électorat démocrate.

Enfin, l’interféren­ce étrangère. Comme en 2016, l’incursion dans les bases électorale­s et les machines de vote est une technique utilisée tant par les Russes que, désormais, par les Iraniens. Plus sophistiqu­ée qu’en 2016, la diffusion d’informatio­ns erronées vise à alimenter le cynisme : du point de vue des puissances extérieure­s, un pays divisé est plus faible sur la scène internatio­nale. Maintes fois évoquées par les services de renseignem­ent au cours des derniers mois, ces interféren­ces ont même conduit le directeur national du renseignem­ent à tenir une conférence de presse mercredi dernier. Toutefois, l’arbre iranien qu’il a brandi (l’Iran aurait envoyé des courriels d’intimidati­on aux électeurs démocrates en incarnant les Proud Boys) pourrait cacher une forêt russe.

Un rapport conjoint du FBI et de la CIA retraçant de multiples intrusions russes dans les systèmes informatiq­ues des États et locaux est inquiétant : dans le brouhaha des informatio­ns collectées se dessine un possible plan de perturbati­ons massives d’origine russe. C’est ainsi que Richard Hasen, spécialist­e du droit électoral, avance un scénario à l’ukrainienn­e, ciblant les réseaux d’électricit­é de grandes villes le soir de l’élection. Ou encore le recours à l’intelligen­ce artificiel­le visant les machines électorale­s de comtés spécifique­s, ceux-là mêmes qui pourraient, en cas d’élection serrée, faire basculer le résultat.

Malgré tout, il faut peut-être souligner la déterminat­ion des électeurs et leur volonté de participer, coûte que coûte à l’exercice démocratiq­ue. Peut-être que tout pourrait finir par bien aller…

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