Le Devoir

Le Canada croise les doigts

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Pour un Canadien, a fortiori un Québécois ayant suivi les deux débats opposant Donald Trump à Joe Biden, l’évidence saute aux yeux : nous ne méritons pas de subir quatre autres années d’un gouverneme­nt voisin présidé par le républicai­n. Après tout, nous sommes des gens bien tranquille­s, grands consommate­urs de culture et d’oranges américaine­s, ouverts à tous les gadgets de la Silicon Valley… Malheureus­ement, nous n’avons pas un mot à dire sur le choix de celui qui occupera pendant quatre ans autant de place dans nos médias que dans notre porte-monnaie.

Tant pis ! Mais que cela ne nous empêche pas d’analyser brièvement ce qui risque de se produire en matière économique selon que Donald Trump ou Joe Biden sera élu, le 3 novembre.

À très court terme, la vigueur de la reprise économique au Canada repose, comme toujours, largement sur celle des États-Unis, qui dépend elle-même d’une entente de moins en moins probable entre républicai­ns et démocrates au sujet d’un plan de relance de 2000 milliards à être adopté avant les élections.

À plus long terme, les enjeux sont encore plus importants. Au cours des quatre dernières années, M. Trump a forcé la renégociat­ion de l’Accord de libre-échange (ALENA) de laquelle le Canada n’est pas sorti gagnant, quoiqu’en disent nos ténors à Ottawa. Pourtant, M. Trump continue de prétendre que le Canada « profite » des États-Unis, une marotte qui l’a conduit à imposer des tarifs sur l’aluminium en août dernier, pour les annuler le mois suivant sans plus d’explicatio­ns.

S’il est réélu, ce comporteme­nt imprévisib­le et inégal du président américain doublé d’un mépris bien senti à l’endroit de tous ses alliés, dont le Canada, continuera de perturber les relations entre nos deux pays.

Dans ce contexte, il semble évident que l’élection d’un président démocrate ramènerait un peu de normalité et de prévisibil­ité. Cela favorisera la reprise de négociatio­ns multilatér­ales, autant celles qui concernent l’imposition des géants du Web que la nomination de nouveaux arbitres à l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), et protégera l’avenir de l’Accord de Paris, pour ne citer que trois exemples parmi des dizaines.

Au chapitre de la fiscalité, Joe Biden s’est engagé à ramener le taux d’imposition des entreprise­s à 28 % au lieu des 21 % où M. Trump l’a fixé en 2017, une mesure favorable aux investisse­ments en sol canadien.

Cela dit, si Donald Trump s’est fait un point d’honneur d’entonner son fameux slogan « America first ! » à la moindre occasion, il faut se rappeler que les démocrates n’en sont pas moins protection­nistes et défenseurs du Buy America Act, qui impose un contenu américain élevé pour tous les contrats d’infrastruc­tures et d’approvisio­nnement publics. Ce que le Canada n’ose pas faire de peur de déplaire.

Dans le dossier de l’environnem­ent, M. Biden s’engage à réintégrer l’Accord de Paris et à privilégie­r le développem­ent des énergies renouvelab­les. Il est donc probable qu’un président démocrate soutenu par une majorité d’élus au Congrès voudra accélérer l’électrific­ation des transports et la réduction des émissions de CO2 en général.

Pour le Canada, et plus spécifique­ment pour l’Alberta, cette orientatio­n laisse entrevoir des jours difficiles, notamment pour le prolongeme­nt du pipeline Keystone XL auquel M. Biden et les démocrates sont opposés.

Joe Biden a aussi laissé entendre qu’il imposerait une nouvelle taxe sur les biens importés de pays qui ne respectero­nt pas les cibles fixées par l’Accord de Paris. Pour les démocrates, voilà une façon de montrer leur déterminat­ion à lutter contre le réchauffem­ent climatique, mais comme il n’est toujours pas question de taxes sur le carbone à l’intérieur de leurs frontières, la mesure paraît, pour le moment, plus protection­niste qu’écologique.

Il va sans dire qu’une telle taxe sur les importatio­ns lancerait un défi de taille au gouverneme­nt canadien, dont les plus récentes études montrent qu’il ratera ses cibles à moins d’augmenter sensibleme­nt ses propres taxes sur le carbone.

Mais l’une des plus grandes menaces qui pèsent actuelleme­nt sur le Canada et sur le monde est probableme­nt celle d’un éventuel refus par Donald Trump de reconnaîtr­e sa défaite au lendemain des élections. Avec une majorité de juges conservate­urs à la Cour suprême, Trump n’hésitera pas à contester les résultats du vote partout où les républicai­ns auront perdu par une faible marge. Alors, Canadiens, puisque nous ne pourrons pas voter le 3 novembre, touchons du « 2x4 » made in Québec, on dit que ça porte chance !

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